Disparu en 2013, le chanteur Daniel Darc a connu le succès dans les années 1980 avec son groupe Taxi Girl. Il tutoyait les anges avec sa prose et goûtait à l’enfer durant ses overdoses.Le titre “Cherchez le garçon” sorti en 1980 a propulsé Daniel Darc, chanteur de Taxi Girl, sur le devant de la scène. Écrivain et musicien né, Daniel Rozoum, à l’état civil, trouva après le succès du groupe, auquel il n’était pas préparé, l’inspiration dans l’héroïne ou dans l’alcool, avec William Burroughs ou Serge Gainsbourg pour compagnon quand il n’était pas avec ses amis musiciens du milieu parisien. Le rock, la drogue et l’anarchie furent ainsi son credo jusqu’à la trentaine. C’était sa vie, avec la drogue au centre qu’il essayait de combattre malgré tout. Il a même “décroché” quelques fois, pour continuer d’écrire vraiment. A la fin de sa vie, il n’acceptait les interviews qu’à l’intérieur des églises. Là où rien ne pouvait lui arriver de mal. Il se promenait volontiers avec une petite bible contre son cœur. Attendu par ses fans, il n’hésitait pas à demander le silence pour réciter un psaume, assisté de ses musiciens favoris à la guitare, au violon ou au violoncelle. Mort à 53 ans, la carrière de Daniel Darc fut malgré quelques vides aussi longue que ses nuits.
Le pétrisseur d’étoiles
Au-delà de ses allures de voyou, Daniel Darc est surtout un artiste incapable de réfréner sa générosité, sa puissance créatrice. Il sort deux albums personnels (Sous influence divine en 1989 et Nijinsky en 1994) qui n’ont cependant pas le succès escompté. Pendant ce temps, il change de valeurs et oublie l’anarchie. L’interprète de “Pourquoi tu pars ?” et “Paris” avait habitué son public aux frasques du rock, comme se couper les veines sur scène ou se marquer au fer rouge, il les invite maintenant à chercher plus haut avec lui. “Le pétrisseur d’étoiles”, comme on l’appelle, revient en force avec l’album Crèvecœur (2004) d’où jaillit une “foi non simulée en la rédemption”, écrit alors Les Inrockuptibles, grâce à son style élégant et de vraies belles chansons. Il sera le disque révélation de l’année aux Victoires de la Musique et classé disque d’or. Alors que son ancien acolyte Mirwais commence à travailler sur les albums de Madonna, Daniel Darc affine ses textes et s’impose enfin en solo. La qualité des partitions musicales traduit finesse et sensibilité, il transporte l’auditoire et paraît alors se racheter, se relever, avec des titres comme “Je me souviens, je me rappelle”, “Et quel crime?” ou le touchant “Un peu, c’est tout”.
Son petit frère Amours suprêmes (2008) remporte le même succès, alors qu’il repense au titre A Love supreme de John Coltrane, composé comme une prière en quatre temps, et au Cantique des Cantiques pour retrouver l’inspiration après une dépression. Ça donne des chansons d’amour, pour Dieu et pour les femmes! C’est là qu’il chante “J’irai au paradis”. Bertrand Dicale du Figaro y voit “un album fascinant qui n’évoque que des questions centrales : la mort, les limites de l’amour, Dieu, le sacrifice du Christ, le rock’n’roll…” Et avec ça, il redonne surtout ses lettres de noblesse au rock français, à l’unanimité. D’ailleurs, pour lui “le christianisme et le rock’n roll sont les dernières formes d’honnêteté” confirmait-il à Thierry Ardisson. Et du haut de sa célébrité, passant ses quarante ans, il disait prier Dieu le Père en plein plateau télé. Ensuite, ses textes plaisent si bien qu’il en écrit pour d’autres, comme Marc Lavoine, Alizée ou la chanteuse Berry, avant de composer son dernier album Chapelle Sixteen (2013).
L’homme qui tatouait son âme sur le corps
Dans la magnifique biographie de Christian Eudeline, Daniel Darc, une vie (éditions Ring), l’auteur a retranscrit toutes les questions qu’il a osé poser au fil de leur amitié, récolté des témoignages et rendu un hommage ultime au musicien. Le sujet ne cache rien ni ne triche, avec une liberté de ton propre aux années 1980 qu’il n’a jamais vraiment quittée. On découvre un bad boy en recherche de la grâce. Son ami l’interroge sur sa foi, protestante, intrigué par la propension des anciens junkies à se tourner vers Dieu. “Dieu est plus fort que l’héroïne, à part ça je ne vois pas grand chose”, lui répond-il sans détour. Et quand il lui demande quel a été son déclic, d’expliquer : “En tout cas, tout ce que je peux dire, c’est que ce n’est pas pour la frime. Le déclic s’est produit quand mon père était en train de mourir : j’avais ce truc de Jésus qui revenait tout le temps. J’étais obsédé par Jésus. Je n’espère pas que ça m’apporte du bien. Ce n’est pas dans ce sens là qu’il faut aller. Je crois en quelque chose, je veux l’exprimer c’est tout.” Sa mère est catholique, mais il choisit d’embrasser le protestantisme même s’il entre dans les églises : sa conversion marque un tournant radical dans sa vie. L’artiste en quête de paradis trouve enfin quelque chose à “la taille de son âme”, qui sera le nom de son prochain album.
Daniel Darc est parti après avoir laissé au répertoire français La taille de mon âme (2011), son Élégie #2, ou encore sa sublime interprétation du Psaume 23. Sa voix habitée, bien que fragile, devait sans nul doute son timbre à une vie intérieure bien présente et indestructible. Car le rockeur sans limites avait la foi, et même un Sacré-Coeur tatoué sur le torse en plus d’une croix sur son épaule. Une ferveur qui l’a porté à bout de bras durant ses combats difficiles, lui qui était né juif et qui est mort chrétien. Et dans le milieu de la musique, on se souvient de lui comme d’un chanteur chrétien. Comme si sa fin avait fini par faire oublier l’enfant du rock qu’il a été. Candide et radical, les deux extrêmes l’ont toujours bercé jusqu’à finir par le tuer. Il savait dire un texte comme personne et l’infuser de sa verve poétique, quasi mystique, à travers sa présence légendaire sur scène. Un monstre sacré à réécouter pour ne pas l’oublier trop vite.
Pour aller plus loin : Daniel Darc, une vie, de Christian Eudeline, préface de Dominique A., aux éditions Ring, 2014