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Le « prêtre roux » de Venise et ses anges-musiciennes

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Narine Karslyan - publié le 29/12/18
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Le « Vivaldi Album » que sort en cette fin d’année Cecilia Bartoli, l’une des plus grandes cantatrices du répertoire baroque de notre temps, rend hommage au pendant contemplatif et spirituel de la musique du « prêtre roux », même s’il est entièrement constitué des airs d’opéra peu connus, et pas de sa musique religieuse.

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Antonio Vivaldi est probablement l’un des compositeurs classiques le plus aimé et écouté de notre temps. Aujourd’hui il est difficile d’imaginer que le brillant vénitien (pourtant déjà très apprécié par J.-S. Bach) était tombé dans l’oubli pendant plus d’un siècle jusqu’à ce que Félix Mendelssohn déterre et redonne vie à ses partitions. Mais c’est le XXe siècle qui portera au pinacle la musique de Vivaldi, d’abord instrumentale, suivi de sa musique religieuse et de ses nombreux opéras.

Un compositeur en soutane

Antonio Vivaldi est né à Venise en 1678 dans une famille de musiciens, son père était même violoniste attitré de la basilique de Saint-Marc. Malgré les talents exceptionnels du petit Antonio dans la maîtrise du violon, ses parents le destine à une carrière ecclésiastique. Les raisons de ce choix restent mystérieuses. On raconte qu’à cause de sa santé fragile, sa mère a fait le vœu de dédier l’enfant à l’église. Le jeune Vivaldi est ordonné prêtre mais, au bout de trois ans, il est dispensé de dire la messe. Les mauvaises langues racontent qu’il lui est arrivé d’abandonner la célébration pour aller noter une idée musicale qui lui trottait dans la tête. C’est pour cette raison que les autorités ecclésiastiques décident de ne plus lui confier cette tâche pourtant essentielle dans la vie d’un prêtre. En réalité le jeune homme souffre d’un mal de poitrine qui l’empêche de célébrer la messe. Pourtant il ne se défroque pas.



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Antonio Vivaldi portera la soutane toute sa vie et aura pour habitude de lire le bréviaire tous les jours. On le dit par ailleurs extrêmement dévot, voire même “bigot”. Toujours est-il que lorsque son génie musical est reconnu à Venise et ailleurs en Europe, dans sa ville natale, il est appelé “le prêtre roux”.

En 1705, il devient le maestro di coro (maître de cœur) à l’Ospedale della Pietà, un orphelinat pour des enfants non désirés et abandonnés de la ville de Venise. Dans cette institution religieuse, les jeunes filles douées sont privilégiées par rapport aux garçons destinés exclusivement aux métiers manuels : elles reçoivent une éducation musicale de très haut niveau en vue d’être des musiciennes professionnelles (alors même qu’à Venise les femmes sont interdites de scènes de théâtres et des églises). Don Antonio tire vite parti des talents et de la disponibilité de ses pupilles et écrit presque la totalité de sa musique religieuse (les cantates, les messes, les psaumes pour des vêpres, motets et oratorios) pour l’orchestre et le cœur de jeunes filles de l’Ospedale della Pietà.

Les musiciennes de l’Ospedale

Le rôle de jeunes filles de la Pietà était d’accompagner les Litanies de la Vierge et les prières commandées par des fidèles. Les filles de l’hospice étaient sollicitées à l’occasion des fêtes religieuses et civiles de Venise, dans les églises et les couvents, mais également dans les palais et les académies. La gloire de ces musiciennes hors pair et de leur maestro dépasse la frontière de la Sérénissime République. Certains dimanches, les amateurs venus de toute l’Europe (le pape Pie IV en fait partie) se pressent à l’Ospedale pour écouter la musique du prêtre roux dans une ambiance très particulière. Les jeunes filles jouent derrière le grillage en fer ou bien couvertes de voiles blanches, toujours en raison de l’interdiction pour les femmes de se produire en public, mais aussi par souci de mise en scène dont la ville de Venise était très friande.



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40 ans plus tard, Jean-Jacques Rousseau, alors ambassadeur de France à Venise, a pu également apprécier l’extraordinaire qualité de l’orchestre des jeunes filles d’Ospedale. Dans ses Confessions, il avoue même avoir était envouté par des jeunes filles qui jouent la flamboyante musique du “prêtre roux”, et veut absolument voir les visages de ces anges-musiciennes cachées derrière des grilles. Le désenchantement est complet lorsqu’il les découvre, mais la magie de la musique prend quand même le dessus.

Malgré son retentissant succès, Vivaldi, restera fidèle à l’institution de l’Ospedale et à ses pupilles jusqu’au jour où pour des raisons inconnues, il est contraint de quitter Venise. On raconte qu’il se promenait en ville toujours accompagné de quelqu’une de ses élèves. Il meurt à Vienne en 1748 dans une relative pauvreté.

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