Musulman radical, qui avait choisi la voie du djihad, Moussa a été converti par une rencontre avec un chrétien qu’il était sur le point d’assassiner. Voici son témoignage.La lumière du jour permettait de lire le Coran, la nuit m’obligeait à exercer ma mémoire, alors que je le récitais, du fonds de ma tente. Il n’y avait aucun doute que la succession du soleil et des étoiles sur le désert, où progressaient nos dromadaires de leurs pas chaloupés avait été organisée par Dieu lui-même dans ce but. Dieu nous enseignait, Dieu éprouvait notre foi. À 6 ans, je connaissais les textes sacrés par cœur.
Dieu dirigeait nos troupeaux dans ma région natale, du nord du Mali, et j’étais dans sa main. Moi, Moussa, le fils aîné d’un dignitaire, d’un imam très respecté, qui avait un rôle prépondérant dans notre communauté de quelques centaines de Touaregs. Ensemble, nous parcourions notre terre selon un rythme immémorial. J’allais prendre la succession de mon père aussi sûrement que nous trouvions notre chemin sur les pistes du Sahel.
Dans cet univers inébranlable, une rumeur terrible couru de tente en tente. L’un des notre, Alou avait trahi Dieu. Il avait rejoint les chrétiens ! Je le connaissais un peu, bien qu’il ne fût pas de mon campement. La nouvelle de sa trahison avait été colportée par sa propre famille, qui demandait haut et fort à tout bon musulman de débarrasser le monde de cet apostat. Cette histoire me pesait. Elle intervenait parfois à l’improviste, dérangeant le cours de mes cinq prières de musulmans, que je récitais fidèlement.
Départ en djihad
J’avais seize ans. Il était quatre heures du matin, l’heure de la première prière, et nous étions réunis avec mes pairs, honorant Dieu. Sa présence était aussi évidente que celle des étoiles qui semblaient proches à nous toucher. Devant la majesté de la Création, le souvenir de la trahison d’Alou me gifla. C’était comme une tâche au milieu de la splendeur divine. Je pris la résolution de l’effacer. J’allais prendre la voie du djihad, et envoyer l’apostat en enfer.
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C’était une affaire entre Allah et moi. Je suis parti seul, le matin même, avec le pistolet que je m’étais acheté à l’âge de 14 ans. Je partais pour la ville, car je savais que j’y trouverai Alou. Il y avait 400 km à parcourir, que je faisais à pied. Pour les Touaregs, les moyens de transports et les chameaux sont réservés aux enfants et aux vieux. Arrivée à la ville, je dû prendre le bus pour la première fois, afin de trouver la maison de mon oncle, car je ne savais pas m’orienter dans l’environnement urbain. J’ai vécu chez lui, et j’allais à l’école, mais en même temps, je me renseignais pour trouver l’apostat.
Je finis par apprendre qu’Alou lui aussi étudiait, dans une mission. Je l’ai attendu devant la porte. Quand il en est sorti, il m’a salué, et m’a laissé l’emmener à l’écart. Il m’a dit : “Je sais ce que tu veux faire. Tu veux me forcer à prononcer la chahada (profession de foi islamique). Et si je ne le fais pas tu vas me tuer.” Je n’avais même pas encore sorti mon pistolet. Il a continué : “C’est le mieux que tu puisses faire pour moi, me tuer. Tu vas me confirmer dans ma foi.” J’étais coincé, piégé, et il m’a dit : “Avant cela, je veux que tu saches qu’il y a quelqu’un qui t’aime. C’est Issa.”
Je connaissais Issa, Jésus en arabe, grand prophète du Coran, mais il m’a parlé de lui en des termes très étranges. Son Issa donnait sa vie pour nous, comme un martyr. Son discours me plongeait dans la perplexité, et il le voyait. Il m’a dit pour conclure : “Écoute, repense à tout ça, et revient me voir”.
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De retour chez mon oncle, je me mis à vivre dans le doute. J’ai cessé de prêcher, moi qui étais très écouté à la mosquée, en tant que fils de dignitaire. Je négligeais ma prière. Mon oncle est venu me voir et m’a demandé ce qui n’allait pas. J’ai répondu que je ne croyais plus en Dieu, et il est entré dans une colère terrible : “Comme tu portes le même nom que mon père, je ne vais pas te tuer. Sors de chez moi ! Je vais dire à ta famille que tu es devenu chrétien !”
Rejeté par les siens
J’ai pris le chemin du retour et j’ai fini par retrouver ma famille, après être passé de campement en campement. Le soir, on prépara un grand feu. Je m’en réjouissais car c’était synonyme de célébrations, mais je vis vite que l’ambiance n’était pas à la fête. Mes parents, oncles, grands-parents, 200 personnes en tout m’entouraient. Le grand père à pris la parole : “Est-ce que c’est vrai que tu as embrassé la religion des blancs ?
-Non, je ne crois plus en Dieu, c’est tout.
-Prononce la chahada !
-Non, je ne crois plus !”
Les hommes ont fondu sur moi, m’ont déshabillé et ligoté à un arbre. Je porte encore la marque des liens sur mes poignets. Je suis resté là dans le froid de la nuit pendant 5 jours. Le cinquième jour, à six heures du matin, un cousin a coupé mes liens et m’a donné un pantalon. Il m’a dit : “Ils vont te tuer, fuit ! Mais ne passe pas par les campements Touaregs. Je suis parti, logeant chez des Peuls, et je suis retourné à l’école de la ville. Je dormais sur un banc et mangeais à la cantine.
Mystérieux bienfaiteurs
Inexplicablement, je recevais des lettres à l’école. Elles contenaient des documents de l’Aide à l’Église en Détresse qui m’apprenaient les souffrances de chrétiens dans le monde. Des souffrances qui ressemblaient aux miennes, et cela me touchait. J’ai rencontré Jésus souffrant pour nous pendant cette période, avant même d’avoir accès aux Évangiles.
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Un jour, une belle voiture s’est arrêtée à ma hauteur et une femme blanche que je ne connaissais pas m’a dit : “Venez avec vous, votre famille vous a trouvé et ils vont vous tuer”. Je suis parti dans la voiture, qui m’a conduit à l’ambassade de la Suisse au Mali. L’ambassadrice en personne m’a permis d’obtenir un passeport diplomatique pour fuir mon pays. Je fus merveilleusement accueilli en Suisse, et découvrais une Église qui priait pour les chrétiens persécutés, et qui se démenait pour eux. Je l’ai rejointe, et je suis retourné au Mali dès que j’ai pu, afin de devenir à mon tour un missionnaire. Comme ceux qui m’avaient aidé clandestinement, et avec une parfaite discrétion, quand j’étais moi-même dans le besoin.
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Ma vie ne m’appartenait plus. Je pouvais être tué à tout moment, aussi j’ai décidé de ne pas me marier pour ne pas laisser de veuve et d’orphelin. Au Mali, j’ai travaillé comme éducateur, et j’ai envoyé mon premier salaire à mes parents, comme le veut la coutume chez nous. Mais l’argent m’est revenu. Ma mère m’a écrit que j’étais mort pour eux. Cela a été une souffrance terrible, qui m’affecte encore. Tous les soirs, je prie pour eux, et tous les soirs je leur pardonne, depuis vingt-cinq ans.