Au service de la France et des âmes de ses soldats, les aumôniers militaires offrent à ces derniers « une présence de gratuité, un soutien hors hiérarchie, au-delà de toute finalité opérationnelle ». À l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, Aleteia a choisi de vous montrer quelques-uns de leurs visages. Découvrez aujourd’hui le père Paul Doncœur.Du métier des armes au métier des âmes, il n’y a parfois qu’un pas à faire, un choix à poser. Pour Paul Doncoeur, né le 6 septembre 1880 à Nantes, cela a pris la forme d’un échange avec son confesseur. Alors qu’il était encore adolescent et qu’il faisait ses études chez les jésuites de Reims, Paul Doncoeur hésite à suivre l’exemple de son père, officier de cavalerie, et à intégrer l’école spéciale militaire de Saint-Cyr. Sentant chez lui un autre appel, son confesseur lui dit : « Je vous crois fait pour la Compagnie (de Jésus, ndlr) ». « Pour se donner au Christ, pas besoin d’attrait tellement spécial. Il faut prendre conseil, croire à ce conseil… finalement, il suffit de le bien vouloir », confiera-t-il par la suite, évoquant cet échange.
Lire aussi :
La figure de Paul Doncœur pour accompagner les Scouts d’Europe
Ordonné prêtre en 1912, il se décide à rentrer en France dès le début de la Grande Guerre afin de se mettre au service de son pays. Comme la plupart des jeunes religieux exilés, il a été déclaré « réformé » d’office par le conseil de révision siégeant au Consulat de France. Cependant, il obtient le 1er août 1914 auprès de l’Évêché de Lille une autorisation à solliciter auprès de l’Administration militaire un emploi d’aumônier « pendant la guerre ». « C’est demain la guerre, ma place est au feu », dit-il à son supérieur qui le bénit. Sa première feuille de route arrive enfin : il part comme aumônier auxiliaire, sans solde. « Il faut que la France profite de ces événements terribles pour se refaire chrétienne », écrit-il à sa mère. « Il faut qu’il pénètre les âmes et les renouvelle vraiment dans leur substance. Nous y travaillerons, mais il y faudra beaucoup de prières et de sacrifices. » Au début de l’année 1915, le père Doncœur devient donc ainsi l’aumônier de la 28ème Brigade.
Durant quatre ans, il fera montre d’une bravoure qui lui vaudra d’obtenir la croix de guerre dès 1915 et d’être fait officier de la Légion d’honneur en 1920. « Le 12 juillet 1915, attaché aux brancardiers d’un régiment, s’est porté sous un feu violent d’artillerie sur un poste avancé où des blessés étaient signalés et leur a donné les premiers soins. N’a cessé de faire preuve d’un dévouement inlassable et d’une belle crânerie », peut-on lire dans sa citation à l’ordre de l’armée.
Lire aussi :
Le « réveil » religieux de la Première Guerre mondiale
Alors que son unité s’enterre sur la rive droite de l’Aisne, il fait aménager une chapelle souterraine dans les grottes de Confrécourt. « Au fur et à mesure, le père Doncœur s’organise selon une méthode qu’il éprouve. Il recrute et aide les prêtres-soldats, qui le secondent en prenant en charge le soutien spirituel de chaque bataillon, il cherche à discerner et à former des « chefs de file », laïcs, sur lesquels les aumôniers vont pouvoir s’appuyer. Le soldat, apôtre de son frère soldat, est déjà l’application du principe de l’apostolat « du semblable par le semblable », cher à l’Action Catholique. », a rappelé le père Michel de Peyret, aumônier des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, lors d’une conférence donnée en 2010.
En 1915, durant les terribles combats de septembre, 2.000 des quelque 2.500 hommes que comptait la 28ème Brigade tombent, dont les quatre colonels. Le père Doncœur procède aux inhumations. Organiser le service des morts a été un souci constant de l’aumônier qui apparaît ainsi comme « le gardien vigilant de la mémoire des sacrifiés ».
Lire aussi :
En images : ces hauts lieux de mémoire de la Grande Guerre
À l’été 1916, sur la Somme, sa Brigade est durement étrillée. Des sept prêtres qu’elle comprend, six sont tombés, dont le père Doncœur, gravement blessé et deux mortellement. « Tout au long de ces années de guerre, le père Doncœur écrit pour élever, encourager, faire méditer. Le sens du sacré s’exprime sous sa plume de façon parfois confuse mais le plus souvent grandiose », souligne encore l’aumônier des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan. « L’heure est trop grave pour faire semblant, écrit l’aumônier, l’heure est trop grave pour ne plus être fier de sa foi. L’amitié dans le quotidien, le service dans la bataille pour aller chercher les blessés ou pour remplacer un officier tué, le souci de l’encadrement sacerdotal, l’appui sur de jeunes laïcs, autant d’efforts qui témoignent d’un dynamisme apostolique de mieux en mieux reçu. »
À l’issue de la guerre, l’abbé Doncœur se donne trois missions. La première a été d’entretenir le souvenir et d’honorer la mémoire des soldats morts pour la France. Pour lui, cela passe par le recensement de tous les disparus du 35eme régiment d’infanterie. La seconde a été la formation de la jeunesse. Il participe ainsi à la création des Routiers scouts de France et publie plusieurs manuels à leur usage.
Lire aussi :
Ernest Olivié, prêtre et brancardier dans la Grande Guerre
Sa troisième mission est d’ordre intellectuel tout autant que spirituel. Il devient rédacteur au sein de la revue jésuite Études. S’il prend la plume dans ce cadre-là pour aborder la théologie, la philosophie et l’histoire, il la prendra également pour s’adresser au président du Conseil, Édouard Herriot. En juin 1924, dans son discours d’investiture, il annonce le retrait de l’ambassade de France près le Saint-Siège, l’application stricte de la législation concernant les congrégations (l’expulsion des congrégations religieuses du territoire national, ndlr) et l’extension de la loi de séparation des Églises et de l’État à l’Alsace-Lorraine. Il n’en fallait pas plus au père Doncœur pour agir. Après avoir cofondé la Ligue des droits du religieux ancien combattant, il publie une lettre ouverte au Président Herriot en octobre 1924 intitulée Pour l’honneur de la France. En voici un extrait :
« Nous avons aujourd’hui un peu plus de sang dans les veines, voyez-vous, et puis, soldats de Verdun, nous avons appris aux bons endroits ce que c’est que de s’accrocher à un terrain. Nous n’avons eu peur ni des balles, ni des gaz, ni des plus braves soldats de la Garde ; nous n’aurons pas peur des embusqués de la Politique. Et je vais vous dire maintenant pourquoi nous ne partirons pas. Ce n’est pas de courir au diable qui nous effraie. Nous ne tenons à rien, ni à un toit, ni à un champ. Jésus-Christ nous attend partout et nous suffira toujours au bout du monde. Mais nous ne partirons plus parce que nous ne voulons plus qu’un Belge, ou qu’un Anglais, ou qu’un Américain, ou qu’un Chinois, ou qu’un Allemand, nous rencontrant un jour loin du pays, nous pose certaines questions auxquelles nous répondrions, comme jadis, en baissant la tête : « La France nous a chassés ». Pour l’honneur de la France – entendez-vous ce mot comme je l’entends ? – pour l’honneur de la France, jamais nous ne dirons plus cela à un étranger. Donc nous resterons tous. Nous le jurons sur la tombe de nos morts ! ».
Après une ‘bataille’ politique d’une vingtaine de mois, le gouvernement, peu à peu, se rend compte que l’opinion publique ne le suit plus dans ses projets anticléricaux et, finalement, renonce à son entreprise. Les religieux redeviennent des Français « à part entière ».
Pour en savoir plus : Les Aumôniers militaires, par Grégoire Mabille, Yvon Bertorello (textes) et Alban Guillemois (illustrations), éditions Mame, octobre 2018.