Pontife malmené et méconnu, le futur saint Paul VI fut un grand réformateur, animé par une véritable “mystique de la papauté”. Son attention aux “surprises de Dieu” est sans doute l’un des aspects qui rapproche le plus son pontificat de celui du pape François.En septembre 1965, le magazine américain Time consacrait sa couverture à Paul VI, le “révolutionnaire réticent “(Reluctant Revolutionnary). “À la différence de Luther qui rompit avec le passé médiéval, il se veut un réformateur pour lequel le changement est souvent si subtil qu’il n’apparaît parfois pas comme un changement.” L’affirmation avait sa part de vérité : Paul VI n’a pas été un pape “révolutionnaire”, mais un pape “réformateur”, l’un des plus grands que l’Église ait connu dans son histoire récente.
La nécessaire réforme de l’Église, selon l’antique adage latin Ecclesia semper reformanda, ne devait pas conduire à l’anarchie, mais devait s’opérer par et sous l’autorité du successeur de Pierre (cum Petro, sub Petro et per Petrum). Au début de la première session du concile, le cardinal Giovanni Battista Montini avait souhaité que ce dernier réaffirme les pouvoirs du pape par un acte solennel : “L’Église est heureuse de reconnaître en Pierre et en son successeur cette plénitude de pouvoirs qui sont le secret de son unité, de sa force, de sa mystérieuse capacité à défier le temps et à faire des hommes une “Église”. Pourquoi ne le dites-vous pas ?”
Une mystique de la papauté
Cette véritable mystique de la papauté qui l’animait est assurément l’une des clefs pour comprendre l’ensemble de son pontificat (1963-1978). C’est pourquoi, dans la biographie que je lui ai consacrée, j’ai eu recours à une catégorie de l’historiographie de l’Ancien Régime, celle de “souverain éclairé”. L’expression sert à désigner ces monarques de la fin du XVIIIe siècle (Frédéric II, Catherine II, Joseph II, Pierre Léopold), qui ont voulu réformer l’État (et même l’Église) selon les principes de la philosophie des Lumières.
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Cette conception centraliste et décisionniste de l’autorité pontificale contraste singulièrement avec l’image d’un pape hésitant, indécis, tourmenté qu’on a souvent donné de lui. Les “tourments de Paul VI ?” Une couverture du magazine L’Express, datée d’août 1977, soit un an avant sa mort, les représentait sous la forme de petits diables assaillant de leurs fourches la tête du pontife : la contraception, les 80 ans, le schisme, le gauchisme, le surarmement, les pays de l’Est. “Aucun des papes que nous avons vus à l’œuvre depuis un demi-siècle n’aura été plus injustement malmené et méconnu” écrira plus tard André Frossard.
Le temps de la crise
Ce pape “malmené et méconnu” de son vivant est devenu, après sa mort, “un pape oublié” dont l’image d’Hamlet tragique a souffert de la comparaison avec l’optimisme bonhomme de son prédécesseur, Jean XXIII, et avec l’activisme conquérant de son successeur, Jean-Paul II.
À la fin du concile, après trois années de pontificat, la popularité de Paul VI était pourtant à son comble. La crise de l’Église postconciliaire mit à mal cette image positive de “pape réformateur”. La publication de l’encyclique Humanae vitae (25 juillet 1968) sur la régulation des naissances, quelques semaines seulement après les évènements de Mai, marqua de ce point de vue un véritable tournant. Mal accueillie aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église, elle souleva une tempête de protestations qui alla jusqu’à faire vaciller le trône de Pierre. “Jamais comme en cette conjoncture, Nous n’avions senti le poids de Notre charge”, déclara Paul VI, visiblement affecté, lors de la première audience générale après la publication du texte. Après cette date, plus aucune encyclique ne sera publiée.
Gardien inflexible de la foi…
C’est le mérite du pape François d’avoir pour ainsi dire “sorti du purgatoire” ce pape qui “n’eut pas peur de la nouveauté”. Cette attention aux “signes des temps” ou, si l’on préfère, aux “surprises de Dieu” (pour reprendre un langage cher au pape argentin) est sans doute l’un des aspects qui rapproche le plus les deux pontificats. Le jeune Giovanni Battista Montini était convaincu qu’avec la fin de la Première Guerre mondiale, le monde était entré dans une nouvelle époque et qu’il fallait trouver les voies d’une “apologétique nouvelle” passant par le retour aux sources (bibliques et patristiques) du christianisme.
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La nécessaire réforme de l’Église n’était donc pas entendue comme une rupture (dans le sens révolutionnaire du terme) avec son passé, mais plutôt comme un renouveau dans la fidélité à ses traditions les plus anciennes et les plus fécondes. C’est au nom de cette conception exigeante de la réforme comme « ressourcement » que Paul VI se voudra, au risque d’être mal compris par ceux-là même qui l’avaient élu, le gardien inflexible de la foi catholique dans les turbulences de l’après Vatican II.
… et pape du dialogue
Le pape des réformes postconciliaires (réforme liturgique, réforme de la Curie) s’est voulu aussi le pape du dialogue, dont il fit le thème central de son encyclique inaugurale Ecclesiam Suam (6 août 1963). “L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation.” Ce dialogue, conçu sous la forme de trois “cercles concentriques”, en commençant par les plus éloignés (dialogue avec les non-croyants, dialogue avec les religions non-chrétiennes, dialogue avec les frères séparés), n’avait pas sa finalité en soi, mais il visait à apporter le salut en Jésus-Christ à tous les hommes à travers l’annonce de sa Bonne Nouvelle.
Dans l’exhortation postsynodale Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975) le pape entendait revenir sur ce qui avait été son objectif fondamental : “Rendre l’Église du XXe siècle encore plus apte à annoncer l’Évangile à l’humanité du XXe siècle.” L’accent était mis sur la nécessité d’une annonce explicite de l’Évangile, car le “salut en Jésus-Christ ” ne se réduisait pas à un “salut immanent”, il impliquait “l’annonce prophétique d’un au-delà, vocation profonde et définitive de l’homme à la fois en continuité et en discontinuité avec la situation présente”.
Un témoin crédible dans son temps
Si le pape Paul VI est aujourd’hui proposé comme modèle de sainteté à tous les chrétiens, c’est parce qu’il a été un témoin crédible de l’Évangile dans son temps. “L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, écrivait-il encore dans Evangelii nuntiandi, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins.”
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