Avec Pie V, le saint pape de la contre-réforme, et le pape François, comment l’Église s’y prend pour relancer la mission ?L’Église est toujours prête à se réformer. L’Église se réforme sans cesse. Encourager la sainteté est un souci permanent, mais il y a quelques paradigmes pour créer ce vaste mouvement. C’est la mission de tous évidemment, mais principalement celle du pape qui donne le ton et les orientations.
Voyez saint Pie V. L’Église du XVIe siècle est en piteux état. Le protestantisme a taillé de larges pièces dans le tissu européen, l’heure est à la critique virulente des abus. Au sein de l’Église catholique, les fidèles en ont assez des prélats désinvoltes et des curés ignares. Le concile de Trente réaffirme la doctrine et donne aux pasteurs les moyens de rallier le troupeau inquiet. Mais il faut un maître d’œuvre. La foi est là, mais il faut la faire rayonner ; surtout il faut l’incarner. Les cardinaux élisent un homme improbable, dominicain un peu sec, exigeant, qui n’a de compte à rendre ni aux familles nobiliaires qui font la pluie et le beau temps dans la cour pontificale, ni aux puissances catholiques qui veulent un pape favorable à leurs politiques.
Un siècle à la vitalité étonnante
Le programme confié au nouveau pape, c’est la Réforme catholique, la mise en œuvre des décrets du concile, l’organisation des initiatives bouillantes et fécondes de ce siècle riche en audace missionnaires et spirituelles — les jésuites se développent, Thérèse d’Avila accélère la réforme du carmel, saint Philippe Néri commence à rassembler les dévots humanistes romains, saint Charles Borromée expérimente à Milan la formation des prêtres, les nouvelles confréries caritatives et le culte à l’Eucharistie.
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On rabâche trop le constat de Voltaire et Michelet, vieilles lunes malveillantes : l’Église du XVIe siècle serait un rameau desséché et pourri. Les historiens déroulent au contraire la vitalité étonnante de la vie religieuse, des associations de laïcs, des initiatives charitables et missionnaires. Et le nombre impressionnant de saintes et de saints inventifs et audacieux. Pie V saura organiser cette énergie pour réussir la réforme catholique.
Mille chantiers
L’autre atout de Pie V pour remettre en six ans l’Église catholique en route, c’est son talent pour incarner ce qu’il promeut. Il apparaît aux yeux des fidèles comme le pape le plus charitable et le plus pauvre qu’on a jamais vu. Il est simple dans sa mise et son comportement. Il arpente à pieds les rues de Rome, du jour au lendemain il divise par deux le train de vie de la cour pontificale, il traite sur un même pied les ambassadeurs et leurs cochers, il dîne d’un œuf, d’un bouillon et d’une biscotte.
La réussite est aussi dans la méthode. Pie V ouvre mille chantiers en même temps : invention du bréviaire, du catéchisme, des séminaires, de la messe tridentine, de la ligue contre le Turc, reconquête des âmes polonaises séduites par la réformation, soutien politique et financier au roi de France, opposition à Élizabeth d’Angleterre, mission en Amérique du Sud, assainissement de la curie, prospérité des états pontificaux et renflouements des finances… Pour l’un qui rate — l’épisode anglais —, dix autres menés de front qui réussissent.
Un charisme improbable et rassembleur
Pour la réforme de l’Église, Pie V se laisse guider par l’Esprit saint. Il prie beaucoup et confie le peuple de Dieu à la Vierge Marie. Il sort de son oratoire en ayant les idées claires et réalise tambour-battant les motions de la grâce. Nous sommes sur le plan mystique. Pie V écoute moins les chancelleries, les politiques réalistes que le Seigneur. Il déroute, inquiète, surprend ses contemporains, bouscule les plans. Il commet des erreurs de jugements sur les hommes et sur les situations, mais grosso modo, la tactique se révèle féconde. « Toute réforme vraie et durable a son point de départ dans la sainteté » écrira un autre Pie, Pie XI dans sa fameuse encyclique contre le nazisme.
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Pie V a un charisme improbable pour réussir la réforme à l’échelon universelle, lui qui n’est pour ainsi dire jamais sorti d’Italie : opiniâtre rassembleur, sa sainteté électrique catalyse autour de lui les généraux, empereurs, rois, ambassadeurs, banquiers, le petit peuple et même la curie des cardinaux. Qu’on l’apprécie ou pas, on le sait marqué du sceau de Dieu. C’est le guide que la Providence envoie à l’Église en période de trouble. On le suit. Il parvient en six ans à réaliser l’unanimité autour de lui.
Retour aux sources
Enfin, le succès de cette opération salutaire vient d’une compréhension audacieuse de la tradition. Pie V ne respire pas l’air du temps pour ensuite adapter l’ancien au moderne. Il fait l’inverse. Il retourne aux sources. « La contre-réforme, c’est revenir aux sources », écrit Jacques Lacan dans le Séminaire, livre XX. Pie V lit la Bible, les Pères de l’Église qu’il fait imprimer, il proclame docteurs les Pères cappadociens, il laboure son Thomas d’Aquin. C’est dans l’immense trésor de la tradition qu’il trouve les réponses pour la réforme hic et nunc. Pour lui, c’est une conjonction exigeante pour réussir la réforme.
Une dépêche d’Aleteia, datée du 14 mars 2013, nous apprend que la première initiative du pape François, après son élection, fut d’aller prier sur la tombe de saint Pie V à la basilique Sainte-Marie Majeure. Il venait demander son aide au pape de la réforme catholique. Car le pape François a été élu pour mener à bien une urgente réforme de la Curie romaine et pour juguler l’épidémie pédophile dans l’Église, deux sujets qui ont pourri la fin du pontificat du pape Benoit XVI.
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Le modèle du pape François
François bénéficie, comme jadis saint Pie V, d’une situation propice en ce qui concerne la vitalité de l’Église. Il a, comme Pie V, choisit d’emblée d’incarner un style humble et pauvre. Il mène lui aussi plusieurs chantiers de front, de la lutte contre la mafia, l’évolution pastorale pour l’accueil des catholiques éloignés des sacrements à l’accueil des migrants.
Sa faiblesse actuelle tient dans la difficulté à faire l’unanimité. Il peine à resserrer les rangs autour des axes prioritaires de la rénovation de l’Église. Pour réussir à créer une vaste communion ad intra dont sa personne serait le signe, il lui faut d’urgence découvrir le projet mobilisateur qui rassemblera les enthousiastes et les critiques. Ce ne sera pas dans les domaines liturgique ni dogmatique, où ses adversaires sont arcboutés. En revanche, un vaste projet missionnaire et protéiforme, comme saint Pie V a pu en son temps être le héraut, inspiré de la nouvelle évangélisation qu’initia saint Jean Paul II, serait peut-être un engagement capable de réconcilier les diverses tendances antagonistes qui rendent laborieuses toute l’entreprise de réformes.