Tout au long de la semaine Aleteia vous invite à découvrir des Français qui ont été marqués par leur passage à Rome. Aujourd’hui, Philippe Casanova.Philippe Casanova, peintre français qui a su ressusciter l’art baroque sans s’éloigner de son époque, réside à Rome depuis plus de 20 ans. Il a peint pléthore d’édifices religieux de la capitale italienne. En 2008, le cardinal Angelo Comastri, archiprêtre de la basilique Saint-Pierre, l’a invité à réaliser 32 perspectives de la basilique vaticane, en vue d’une exposition pour les 500 ans de sa reconstruction. Aujourd’hui, il nous livre le secret de sa peinture imbibée de spiritualité.
Aleteia : Peut-on être croyant et artiste peintre ?
Philippe Casanova : C’est même plus facile ! C’est un peu du dopage, comme on dirait en cyclisme. Les artistes sont, ou en tout cas devraient être, des affamés et des assoiffés de beauté. Le message du Christ et la voix des Prophètes sont un réel encouragement pour peu qu’on veuille bien se donner la peine d’écouter.
Faut-il être catholique pour faire de la peinture baroque ?
Pas davantage qu’il ne faut être catholique pour pratiquer la charité. En revanche pratiquer la charité ou faire de la peinture baroque ne peut qu’aider à être entrainé vers le haut, à s’ouvrir à l’idée de transcendance, à être emporté. D’où ma boutade : quand je suis disons à sec spirituellement, mes tableaux « croient à ma place ».
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Pourquoi les églises vous fascinent-elles autant ?
Elles dégagent une force spirituelle, symbolique, souvent vaste, même quand l’édifice est physiquement exigu. Les églises dégagent de l’espace vers le haut, elles sont une antichambre, ou encore une rampe de lancement. C’est pourquoi il n’y a pas, je crois, de plus grande consécration pour un artiste que de réaliser une œuvre destinée à rester définitivement dans une église. C’est difficile dans une mosquée, une synagogue, ou même dans un temple protestant, car la figuration n’y est habituellement pas la bienvenue. J’observe par ailleurs que les artistes contemporains a priori les plus éloignés de l’enseignement de l’Église cherchent tous, mais vraiment tous, sous un prétexte ou un autre, à investir le champ et la géographie sacrée des lieux de culte, de préférence catholique, pour y installer leurs œuvres. Eux aussi pensent que c’est une véritable consécration. C’est le cas de Cy Twombly* qui a même voulu absolument être enterré à la Chiesa Nuova, à quelques mètres de saint Philippe Néri.
*Cy Twombly, né Edwin Parker Twombly Jr. le 25 avril 1928 à Lexington et mort le 5 juillet 2011 à Rome, est un peintre, dessinateur, sculpteur et photographe américain.
Comment vous sentez-vous après avoir peint une église des heures durant ? Est-ce aussi pour vous un moment consacré à la prière ?
Invoquer de façon insistante l’Esprit saint, le supplier de bien vouloir se «déranger», chanter des laudes, des cantiques, exulter, ne peut qu’aider à atteindre un état de concentration. Et cela permet en même temps de peindre avec toute sa sensibilité, de s’émerveiller, et bien sûr de rendre grâce : chercher la Beauté, le style, chaque jour de ma vie, quel métier ! La foi ne peut que rendre plus libre. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas la foi dont il s’agit, mais un déterminisme social, un conditionnement culturel.
Pourquoi vivre et peindre à Rome, et non pas en Autriche où vous avez rencontré Dieu pour la première fois ?
Je suis à Rome car l’Italie est la maîtresse des arts, tout ce qui a été inventé de meilleur dans l’art occidental l’a été ici-même. Comme aimait à le répéter Michel-Ange, tous les peintres sont italiens. Et lorsqu’on lui objectait : “Et Dürer ?”, il insistait : “Dürer est Italien !” Rome est la plus belle ville du monde, il n’est pas étonnant qu’un artiste s’y établisse. Ceci dit, j’aime parler d’univers baroque, car le baroque est universel, il a voyagé, s’est décliné sous des latitudes très diverses, s’est adapté à des langages, des identités extrêmement variées. La Mittel Europa a été une terre accueillante, le génie baroque y est particulièrement foisonnant, mérite probablement des Habsbourg, les plus catholiques des souverains.
Vous sentez-vous plutôt héritier des peintres français du XVIIe siècle (Vouet, Poussin, Claude Gelée) ou vous inscrivez-vous en rupture ?
Les Italiens comptent plus pour moi, (Bernin, Titien, Cortone, Mattia Preti, Lanfranco, Caravagge, Guerchin, Baglione, Baciccio, Trevisani, etc…) et pas seulement les peintres ! Je considère Borromini comme le génie absolu de l’univers baroque. Poussin m’influence surtout en tant que dessinateur. Les peintres français étaient venus pour se mettre au contact des grands modèles et se mesurer à l’art italien, apprendre et se remettre en jeu sans cesse. C’est ce que je tente de faire moi-même. Le Grand Tour* ne doit jamais s’arrêter.
*Le Grand Tour était un voyage d’éducation aristocratique pour les jeunes de la haute société européenne à partir du XVIIIe siècle. Il était destiné à parfaire leur éducation et à élever leurs centres d’intérêt.
Qu’a le style baroque de si particulier ?
On ne naît pas baroque, on le devient ! Avant d’être un style, une esthétique, le baroque est un état d’esprit, une forme mentale, ou peut-être une déformation mentale, une blessure : nous sommes incomplets, des êtres finis mais qui avons besoin de nous ouvrir sur l’infini pour trouver une raison de vivre, de progresser ; le parti-pris baroque c’est aller vers la Beauté mais pas comme une fin en soi, donc, plutôt, par la Beauté vers l’infini ; en chemin vers la Jérusalem Céleste. Toutes les splendeurs de la création ne valent que comme un avant-goût, que pour être dépassées ; on peut peindre avec magnificence le festin de Balthazar mais c’est toujours avec l’idée que le véritable Festin des Élus n’est pas de ce monde.
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