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Au théâtre, Pierre et Mohamed : l’amitié avant le dialogue

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Constance Ory - publié le 13/04/18
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Actuellement jouée à la chapelle Notre-Dame des Anges à Paris, la pièce “Pierre et Mohamed” met en scène Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran (1981-1996), et Mohamed Bouchikhi, jeune oranais musulman. Une œuvre qui pose la question délicate de l’amitié et du dialogue entre chrétiens et musulmans dans le contexte terrible et confus de l’Algérie des années 1990.

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Le 27 janvier 2018, Monseigneur Pierre Claverie et ses dix-huit compagnons — dont les sept moines de Tibhirine — ont été reconnus martyrs par le Saint-Siège. Ils sont martyrs, c’est-à-dire « témoins ». Témoins de cette décennie noire de sang qui a défiguré les traits d’une Algérie déchirée entre l’État et sa police, le Groupe islamique armé (GIA), le Front islamique du salut et d’autres organisations. Témoins et acteurs du dialogue difficile avec l’islam, possible parfois avec les musulmans. Adrien Candiard, frère dominicain au Caire et membre de l’Institut dominicain d’études orientales, a mis au jour un dialogue fictif entre cet évêque pied-noir et Mohamed, un jeune Algérien musulman de 21 ans. Cette pièce est tissée d’extraits d’homélies de Pierre Claverie auxquels répond Mohamed, dont les mots sont inventés par l’auteur.

Une tragédie sobre

L’Église, le décor, les objets, l’unique comédien, la musique, tout cela rend la mise en scène plus proche du naturel de la lecture que du quatrième mur théâtral. Pour plonger le spectateur dans l’atmosphère orientale, le metteur en scène et percussionniste Francesco Agnello, joue sur les résonances mystérieuses et envoûtantes de cet instrument suisse, extraordinaire : le hang (« main », en dialecte bernois). Le décor est simple, symbolique : au fond, entre les grandes colonnes de la belle chapelle, un immense Coran ouvert au pied de la Vierge à l’enfant près du tabernacle. Un tapis de prière replié. C’est déroutant. Devant, un plateau d’argent qui porte un pain faisant des deux personnages, des compagnons ; de part et d’autre du plateau, un verre en cristal, du vin, et un verre en terre cuite, de l’eau. À droite, la mise en valeur d’un ambon : les paroles que le spectateur va entendre sont des discours, des extraits de sermons.



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Dans cette atmosphère déroutante, Thibault Jarry, comédien brillant, incarne, par un jeu d’accents et de silences, les deux personnages à la fois : ce jeu risqué et habile permet de rendre plus harmonieuse encore l’amitié superbe et tragique des deux personnages. Mais en quoi Pierre et Mohamed est-elle une tragédie ? La pièce respecte, ce qui peut faire resurgir de vieux souvenirs de lycée, la règle des trois unités d’Aristote et de Boileau. Un jour : le 1er août 1996. Un lieu : la corniche qui surplombe Oran. Un seul fait accompli : une amitié qui conduit au martyr. Elle respecte la vraisemblance, et plus encore, la pièce fait resurgir des faits et des discours inscrits dans l’histoire. Elle respecte la bienséance : la torture, la peur, la mort sont omniprésentes mais « ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose ». On retrouve également le dilemme : chaque personnage doit choisir entre rester et partir, sauver sa vie ou la perdre. La noblesse de cœur des personnages est admirable. La noblesse de cœur des personnages est admirable et le dénouement tragique : Pierre et Mohamed sont tués par une explosion en arrivant dans l’évêché d’Oran.

 

Le pays est décrit, à feu et à sang. Ce ne sont que soldats, images de tortures, de peurs qui apparaissent par éclairs dans le texte. « Oran la radieuse, le port et la mer. Quand je suis triste, c’est ici que je viens pleurer », commence Mohamed, contemplant sa ville comme Jésus pleurait sur Jérusalem. « Qu’est ce que ça veut dire, avoir 21 ans, quand on grandit avec cette odeur de mort partout autour de soi ? ». Voilà l’amer sentiment de l’absurde auquel il n’y a qu’un remède : l’amour.

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Constance Ory

L’amitié d’abord

Antoine de Saint-Exupéry définit le verbe aimer en disant qu’il s’agit de « regarder ensemble dans la même direction ». Pour regarder l’autre comme son prochain, il faut d’abord présupposer la bonne foi et l’honnêteté chez l’autre, il faut supposer qu’il recherche aussi honnêtement la vérité. Ainsi, il faut voir en l’autre un être en quête de vérité. Peut-on être ami sans être d’accord ? « Pierre m’a souri ». Le début de l’amitié et de l’ouverture à l’autre se fait non par un échange verbal mais par un geste d’amour qui sait s’extraire de la lutte pour se faire fraternel. Un sourire ne demande pas d’être d’accord. Avant de parler de dialogue, de volonté de convaincre l’autre, de le convertir, il y a cette très belle invitation à véritablement considérer l’autre comme autre chose qu’un décor ou un ennemi à combattre.


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« Découvrir l’autre, vivre avec l’autre, se laisser façonner par l’autre, cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs, cela veut dire concevoir une humanité plurielle ». Voilà l’injonction de Pierre Claverie ; une question éminemment complexe dans notre société du l’inclusion pour un oui, pour un non, par principe et sans identité. Cette amitié qui semble sans grands éclats et grandes déclarations va pourtant jusqu’à la mort, avec saint Pierre, Mohamed déclare à Pierre : « Même s’il me faut mourir avec toi, je ne te renierai pas. » (Matthieu 26).

Rappelons que le dialogue mis en scène est une des seules choses fictives de la pièce : il est orchestré par Adrien Candiard à partir d’extraits des homélies de Monseigneur Pierre Claverie joint à un texte fictif. Mohamed, qui semble craindre, à cause d’un cousin, d’être converti au Christianisme sournoisement, explique que Pierre ne lui parle de Jésus que lorsqu’il lui pose des questions. Pierre, quant à lui, semble connaître de façon très précise et claire le Coran comme la Bible, ce qui impressionne le jeune homme et permet un dialogue simple, un dialogue des choses quotidiennes.

Se méfier de l’art, se méfier de soi

Il faut être toutefois vigilant : l’art est toujours très complexe parce qu’il est mystère et demande ici au spectateur d’être un peu averti. Il faut connaître la démarche dominicaine qui demande beaucoup de délicatesse, immensément de temps : il s’agit de se mettre côte à côte, de s’abaisser, de ne pas tenir de grands discours mais de l’incarner jour après jour et dans les plus petites choses. Il faut aussi faire attention à ne pas voir dans la pièce un encouragement au relativisme, à la tolérance malhonnête et stérile du « chacun sa vérité. Elle est une invitation à la découverte de sa propre identité et à la connaissance de la culture de l’autre. Combattre l’ignorance sans discours ex cathedra.

Il s’agit de comprendre que l’ouverture à l’autre nécessite une très bonne connaissance de notre identité. Il ne s’agit pas d’une quelconque philosophie de l’inclusion aveugle. Il faut se méfier de l’art qui fait tendre l’histoire particulier à l’universel. Il s’agit bien, ici, d’une amitié qui est née dans un contexte particulier, qui ouvre une réflexion mais ne la clôt pas ni ne systématise rien. Dans son ouvrage Comprendre l’islam, publié en 2016, le frère dominicain montre surtout “pourquoi l’on n’y comprend rien”, mettant par-là même en valeur la pluralité des visages de l’islam.

Informations : 

La pièce est jouée jusqu’au 30 juin 2018, tous les samedis à 12h30 à la chapelle Notre-Dame des Anges dans le VIe arrondissement de Paris.

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