Le président de la République se rendra ce 9 avril au soir au collège des Bernardins à l’invitation de la conférence des évêques de France (CEF). Philosophe et spécialiste de la théologie politique, le père Bernard Bourdin, professeur à l’Institut Catholique de Paris (ICP), décrypte pour Aleteia cet événement inédit et décrit ce qu’il dit des relations entre l’Église catholique et le pouvoir politique.Emmanuel Macron, président de la République, se rendra ce soir au Collège des Bernardins, à Paris, afin d’assister à la réception organisée par la Conférence des évêques de France (CEF). Philosophe dominicain, Bernard Bourdin est un des plus grands spécialistes de la théologie politique. Il a publié aux Éditions du Cerf Le Christianisme et la question du théologico-politique et Souveraineté, Nation, Religion : Dilemme ou réconciliation ?. Enseignant à l’Institut catholique de Paris (ICP), il décrypte pour Aleteia les enjeux de cet événement et revient sur la manière dont l’Église catholique fait entendre sa voix dans le milieu politique.
Aleteia : Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que la Conférence des évêques de France (CEF) invitait Emmanuel Macron au Collège des Bernardins ?
Bernard Bourdin : J’ai pris cet événement comme un fait parmi d’autre. Au même titre que l’invitation faite à Emmanuel Macron par la Fédération protestante de France, que le président de la République rencontre les représentants des autres cultes ne m’étonne pas, cela fait partie de l’ordre des choses. Et d’autant plus que le conseil permanent de l’épiscopat français et le président de la République entretiennent des rapports positifs.
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Est-ce que cette réception aux Bernardins témoigne d’une évolution des relations entre l’Église catholique et le pouvoir politique ?
Je n’en suis pas sûr. Cet événement s’inscrit dans une histoire relativement récente : en 2001 Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait rencontré le cardinal Billé qui était le président de la Conférence épiscopale à l’époque. Un rendez-vous s’est depuis institutionnalisé entre Matignon et la CEF. En revanche, cela témoigne d’une évolution du point de vue du président de la République. Le rapport qu’entretient Emmanuel Macron avec les autorités religieuses diffère de celui de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Et c’est peut-être là la véritable évolution. Par son itinéraire personnel tout comme par sa formation académique, Emmanuel Macron a rencontré les questions liées à la religion dans sa jeunesse. Cela le pousse à avoir un rapport d’ouverture sur les religions. Emmanuel Macron n’est pas un « laïcard ». Il sait que les religions jouent un rôle avec des conséquences pour l’ensemble de la société. Encore une fois, sans être un démocrate chrétien il n’a pas non plus de culture radicale socialiste. Je dirais que c’est un laïc modéré tout en étant très attaché au principe de laïcité. Je pense que sa démarche est intellectuellement honnête. Reste à savoir ce qu’il fera de cette rencontre dans la pratique…
Pensez-vous que cette rencontre peut avoir un impact sur la politique d’Emmanuel Macron ?
En toute honnêteté je reste très prudent. Emmanuel Macron n’est pas seul, il doit composer avec les gens qui l’entourent, son gouvernement et la société dans son état général. Le président de la République écoute et dialogue avec la CEF comme il le fait avec les autres religions, le grand Orient de France etc. Cet événement va très certainement être une rencontre franche et chaleureuse et je ne doute pas de la sincérité de la démarche mais je ne suis pas persuadé que cela va faire bouger les lignes… en profondeur.
Selon vous, que peut espérer la CEF en organisant un tel événement ?
Cela permet à l’épiscopat français de revenir une nouvelle fois sur les questions qui lui sont chères. Nous sommes en plein dans les États généraux de la bioéthique, il y a forcément un enjeu pour la CEF compte-tenu du calendrier. Plus globalement, toute institution religieuse a intérêt à dialoguer avec le pouvoir politique en place dès qu’elle sent qu’il y a une ouverture. Cet événement lui permet aussi d’augmenter son potentiel d’influence. Mais attention, le président de la République n’est pas Merlin l’Enchanteur. Il va tenir compte des débats et pourra éventuellement donner une orientation. Il y a forcément un enjeu compte tenu des échéances, je pense aux débats sur la PMA. Mais il y a un risque que la CEF soit déçue.
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Et que peut attendre Emmanuel Macron en se rendant au Collège des Bernardins ?
Emmanuel Macron y gagnera, quoi qu’il en soit. Ignorer une invitation de l’Église catholique, religion la plus ancienne de France, renverrait un signal de mépris. Mais de plus, le président de la République gagne une légitimité symbolique en se rendant aux Bernardins. Ne serait-ce que par le lieu : le collège des Bernardins est une institution ecclésiale centrale, à même de jouer un rôle médiateur. Le président de la République va échanger avec des évêques dans cette enceinte, c’est un fort capital symbolique de légitimité. Outre le fait que l’Église catholique lui fait crédit de vouloir le rencontrer, cet échange va avoir lieu dans un cadre emblématique chargé d’histoire Je pense qu’Emmanuel Macron a beaucoup plus à gagner qu’à perdre.
On a souvent comparé cette soirée aux Bernardins au diner du CRIF. Pensez-vous que ce parallèle soit pertinent ?
Non, le parallèle ne me semble pas pertinent. Il s’agit d’une comparaison métaphorique car il y a une ressemblance dans la forme. Mais l’Église catholique est par nature une institution confessionnelle, ce que n’est pas le cas du CRIF. La comparaison est donc purement symbolique.
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Pour faire entendre sa voix et porter ses idées, l’Église catholique doit-elle évoluer vers une forme de lobby afin de mieux interagir avec le monde politique ?
L’Église catholique ne doit pas rester à la sacristie. Elle doit donc nécessairement mener une réflexion sur son rapport à la société civile. Les évêques l’ont manifesté en publiant en 2016 un texte intitulé Dans un monde qui change retrouver le sens du politique. Rien n’est parfait mais la réflexion épiscopale a progressé au plan “politique”. En revanche, se transformer en lobby ou en groupe de pression ne serait pas à son honneur. Je me méfie du terme lobby, qui pourrait donner l’impression que l’Église défend ses intérêts et non celui, commun, de tous les Français.
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