Molokai, l'île des lépreux… Une des îles Sandwich (Hawaï aujourd’hui) du Pacifique sur laquelle sont relégués les lépreux par les gouvernements locaux depuis 1866… Quand père Damien de Veuster (1840-1889), missionnaire de la congrégation des Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, débarque sur son sol, le 10 mai 1873, il est loin d’imaginer le combat qu’il aura à mener pour changer la vie de ces "malheureux", pour faire en sorte qu’ils ne soient plus traités comme des criminels, délaissés de tous, et qu’eux-mêmes, les lépreux, comprennent qu’ils ne sont pas punis par le ciel et ne doivent plus subir passivement leur maladie.
Du cauchemar au bonheur
Mais avant cela, notre missionnaire belge, directement venu des Flandres, est passé par tant d’états d’âme — dégoût, peur, découragement. Damien, la honte au cœur, l’avoue humblement dans une lettre à son frère Pamphile, une semaine après son arrivée. Mais très vite l’impression de vivre un cauchemar s’est transformée chez le missionnaire en désir impérieux de servir les lépreux jusqu’au bout de ses forces.
Dans cet enfer du désespoir, ce "pourrissoir" de Kalawao, comme on appelait cet endroit où les lépreux étaient abandonnés à leur sort, il veut apporter l'espérance, devenir leur consolateur, leur pasteur, le médecin des âmes et des corps, sans faire de distinction de race ni de religion. Et il y arrive. Jusqu’à réécrire un jour à son frère, "Je crois être le missionnaire le plus heureux du monde". Sa force, dit-il, il la puise dans l’Eucharistie et l’Adoration du Saint-Sacrement.
Évolution des mentalités
Dans Le Livre des Merveilles qui rapporte la vie de tant de saints, missionnaires, et géants de la charité qui ont eu ce grain de "folie" de tout quitter pour vivre en cœur à cœur avec Dieu, Damien de Veuster a toute sa place. Il a vécu sa mission non pas comme une condamnation à mort, mais comme une aventure à la fois effrayante et palpitante. Construction de cabanes décentes, apprendre aux lépreux à cultiver des légumes pour se nourrir, et construction d’une église et d’un orphelinat pour enfants. Les changements opérés par Damien sont immenses. Il soigne les malades comme il peut, panse leurs plaies en inventant des pansements efficaces et les accompagne jusqu’à la mort.
Sur ce plan, grâce à lui, les pestiférés ne sont plus traités comme des réprouvés dont on avait hâte de se débarrasser. Leurs funérailles deviennent une fête d’entrée dans une nouvelle vie "la vraie vie". Pendant plus de 15 ans, il est leur voix, eux les sans-voix. Jusqu’à mourir du même mal, le 15 avril 1889 et susciter, non seulement l’admiration de tous, catholiques et non catholiques, mais un changement de comportement : quinze ans plus tard Molokai n’est plus un enfer. L’île est devenue propre et les lépreux y vivent plus décemment. Plus personne ne pense que cette maladie est le signe d’une malédiction. Les dons affluent pour lui d’Europe, d’Amérique et même d’une paroisse anglicane d’Angleterre. Des médecins et des écrivains lui rendent visite.
Célébré en héros
Comme d’autres avant et après lui, Damien de Veuster a marqué l’avenir de l’humanité de sa petite pierre. À travers sa vie, c'est une autre histoire qui s’est écrite, celle de Dieu à l'oeuvre dans le monde, c'est l'histoire du salut. Une jolie histoire d’héroïsme à raconter en cette 65e Journée mondiale des lépreux. Histoire qui a fait dire à Gandhi : "Le monde politique et journalistique ne connaît pas de héros dont il peut se glorifier et qui soit comparable au Père Damien de Molokai". C'est à lui également que sœur Emmanuelle attribue sa vocation auprès des chiffonniers du Caire. La Belgique l’a élevé au rang de héros national. Sa statue représente même l’État d’Hawaï, au Capitole, à Washington.