Avant de devenir la crise de la quarantaine, ce mal de notre temps était le plus lourd des maux que le moine égyptien Évagre le Pontique eut à combattre parmi les siens. C’est vers la quarantaine, voire la cinquantaine que s’éveille ce fameux “démon de midi” qui fait basculer l’humain dans l’infidélité. En “allant voir ailleurs”, celui-ci croit mettre un peu de piment dans une vie trop rangée, routinière, ou trop compliqué à son goût. Une pulsion souvent liée aux doutes sur l’utilité et la réussite de sa propre vie, ou autres tourments de nature psychologique. Mais il faut savoir que cette expression n’a commencé à se répandre que vers la fin du XVIIe siècle. Et elle n’avait aucun lien avec le péché de chair.
Une erreur de traduction
Ce démon serait d’abord né d’une erreur de traduction de la Bible de l’hébreu vers le grec dans le psaume 90 évoquant les fléaux capables de frapper les hommes en pleine nuit et ceux frappant en plein midi. Aurait été lu shêd (démon) là où était en réalité écrit yâshûd (qui dévaste). Cette erreur, commise par la septante grecque — la première traduction de la Bible hébraïque en grec — a été reportée dans la Vulgate latine — traduction de la Bible en latin par saint Jérôme — se transformant alors en daemonius meridianus, le démon ou diable méridien, au sens encore ambigu — entre notre diable et les fausses idoles — qui désignera peu à peu de “mauvaises tentations” (démon du jeu et démon de la chair).
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Le moine égyptien Évagre le Pontique, un fin psychologue du IVe siècle, et reconnu comme tel par les professionnels du fonctionnement psychique jusqu’à nos jours, dénonçait déjà ce démon de midi comme le plus pesant de tous les maux pour les moines de sa communauté. Ce démon de midi était le “démon de l’acédie”. La tentation qui assaille le moine à la mi-journée, quand l’enthousiasme commence à baisser et l’ardeur à s’éteindre. Rapporté au midi de la vie, ce démon peut-être si dangereux qu’Évagre l’insère parmi les huit “mauvaises pensées” qui vient perturber insidieusement la vie psychique du chrétien. Voici comment il décrit ce démon et met en garde contre tentations qu’il suscite :
“Le démon de l’acédie, qui est appelé aussi “démon de midi”, est le plus pesant de tous ; il attaque le moine vers la quatrième heure (10 heures) et assiège son âme jusqu’à la huitième heure (14 heures). D’abord, il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir, ou immobile, et que le jour semble avoir cinquante heures. Ensuite il le force à avoir les yeux continuellement fixés sur les fenêtres, à bondir hors de sa cellule, à observer le soleil pour voir s’il est loin de la neuvième heure (15 heures), et à regarder de-ci, de-là si quelqu’un des frères… En outre, il lui inspire de l’aversion pour le lieu où il est, pour son état de vie même, pour le travail manuel, et, de plus, l’idée que la charité a disparu chez les frères, qu’il n’y a personne pour le consoler. Et s’il se trouve quelqu’un qui, dans ces jours-là, ait contristé le moine, le démon se sert aussi de cela pour accroître son aversion. Il l’amène alors à désirer d’autres lieux, où il pourra trouver facilement ce dont il a besoin, et exercer un métier moins pénible et qui rapporte davantage ; il ajoute que plaire au Seigneur n’est pas une affaire de lieu : partout en effet, est-il dit, la divinité peut être adorée. Il joint à cela le souvenir de ses proches et de son existence d’autrefois, il lui représente combien est longue la durée de la vie, mettant devant ses yeux les fatigues de l’ascèse ; et, comme on dit, il dresse toutes ses batteries pour que le moine abandonne sa cellule et fuie le stade. Ce démon n’est suivi immédiatement d’aucun autre : un état paisible et une joie ineffable lui succèdent dans l’âme après la lutte” (Traité pratique, ou le moine, Tome 2, traduit par Antoine et Claire Guillaumont, Cerf, “Sources Chrétiennes” n° 171).
Finalement l’acédie est née dans le monde monastique, mais comme on le voit, elle est d’une certaine manière le mal de notre temps et l’expression “avoir le démon de midi” reste dans l’air du temps. Selon différentes interprétations, c’est probablement le remplacement dans les esprits du “milieu de la journée” par “le milieu de la vie”, associé à l’idée du milieu du corps, siège de l’activité sexuelle, qui a fait naître le nouveau sens lié à la chair .
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