Un classique de Gaston Roupnel à relire sans modération. Voilà une heureuse nouvelle que la réédition de ce grand classique de la terre. La dernière datait de 1974, chez Plon, dans la collection Terre humaine. Le livre, lui, est paru en 1932 chez Grasset. Son auteur avait alors 61 ans. C’était un paysan, de lignée paysanne, qui avait peu à peu abandonné la charrue pour la plume : double carrière de romancier et d’historien, professeur à la faculté de Dijon après sa thèse sur La Ville et la Campagne au XVIIe siècle.
Si ce livre est son chef-d’œuvre, c’est que les trois hommes n’y sont qu’un : le paysan, le savant, le poète. Voilà ce qu’il fallait pour une entreprise à tout autre impossible : remonter aux origines de la campagne, qui était alors à la veille de disparaître en son visage traditionnel. Car ses origines sont préhistoriques, exactement néolithiques : tout s’est mis en place à ce moment-là, par l’œuvre d’une population venue de l’est (des brachycéphales ligures, dit Roupnel) qui, abandonnant le nomadisme, consacra sa vie à la culture du sol. Ce qui entraîna une configuration primitive des lieux habités : la forêt, la clairière cultivée, les chemins, le village. Et c’est de l’évolution de cette répartition qu’est issue, des millénaires plus tard, avec le visage de la campagne, le type du paysan et le mode de vie rurale, la civilisation terrienne.
Pour écrire cette remontée des âges sans autre document que le sol lui-même, Gaston Roupnel demande beaucoup plus à l’observation et à l’intuition qu’aux connaissances savantes, nécessaires mais insuffisantes. Il faut le voir sur le terrain, p. 100-103 par exemple, deviner, à partir d’indices infimes, la présence d’un ancien chemin enfoui, se mettre à sa quête, reconstituer son tracé, s’aidant de cartes anciennes, et établir qu’il s’agissait de « l’une des grandes routes qui animaient la populeuse Ligurie », en direction d’Avallon et tout là-bas au nord Troyes en Champagne. Admirable leçon !
Les pages savantes ont pu vieillir, l’évocation, elle, confiée à une prose poétique qui devient souvent poème en prose, reste une splendeur. Quelle anthologie ferait-on par thèmes de cette poésie paysanne : la langue est robuste et ferme, loyale, pesant son poids de mots de bon aloi, ne quittant le réel que soulevée par un lyrisme d’admiration et de reconnaissance. Les dernières pages sur La Vie morale célèbrent le génie du christianisme et de la terre en leur alliance. C’est exactement ce qu’Henri Pourrat appelle « les grandes mœurs ». Il faisait grand cas du livre de Roupnel, et quand il s’est mis à écrire, lui, l’histoire du paysan, qu’il a appelé L’Homme à la bêche (1940), c’est en mettant ses pas dans le sillon de son aîné bourguignon.
Gaston Roupnel, Histoire de la campagne française, Tallandier coll. Texto, 448 pages, 11 euros.