Il y a sept ans, le 3 août 2008, s’éteignait à Moscou le plus grand écrivain russe du XXe siècle, témoin capital de l’empire des ténèbres communistes mais aussi de la décadence de l’Occident.
Alexandre Soljenitsyne repose au monastère Donskoï de Moscou, au cœur de sa chère Russie où il était revenu d’exil pour achever sa vie et où il s’est éteint à 89 ans. Il avait vécu la chute du moloch rouge contre lequel il avait mené un combat acharné qui l’avait conduit au goulag, expérience terrifiante qui fit de lui non seulement un immense écrivain mais un témoin, dans la lignée des plus grands auteurs russes.
Le souffle d’une inspiration indignée
La puissance de Soljenitsyne n’a rien à envier à celle de Tolstoï ou de Dostoïevski. Elle associe le goût parfois maniaque du détail au souffle d’une inspiration indignée qui emporte tout sur son passage. Qui pouvait résister à ce prophète ? Son horreur incandescente de l’empire luciférien du mensonge que fut l’URSS, "homicide dès le commencement" (Staline n’a fait que perfectionner le système mis au point par Lénine), l’avait rendu insensible au danger. Et infatigable. "C’est bien simple, je travaille tout le temps", disait-il sans exagération.
Avant d’être un enquêteur minutieux servi par une prodigieuse mémoire – longuement exercée dans les camps, où l’écriture lui était interdite –, Alexandre Soljenitsyne fut un voyant. Et cela à compter du jour où, en pleine guerre, sa vie de brillant officier d’artillerie bascula dans l’enfer des réprouvés du régime. Cette terrible épreuve, cette ordalie, lui donna la faculté de discerner ce qui avait mis en branle "La Roue rouge" qui broya des dizaines de millions de personnes, hommes, femmes, enfants en Russie, et exporta ses ravages sur d’autres continents. Il lui fut donné de voir qu’au-delà de l’affrontement d’êtres de chair et de sang, se jouait le grand combat apocalyptique dont l’enjeu est la survie de l’humanité et le sort final de chacun.
L’adversaire ne s’y trompa pas. Quand tout juste réchappé des griffes de l’ours soviétique, l’écrivain connut l’exil en Occident, sa dénonciation sans concession des complicités idéologiques qu’y rencontrait le communisme lui valut un accueil mitigé. De grandes consciences en vogue ne cachèrent pas leurs réticences devant L’Archipel du Goulag. Depuis, cette intelligentsia s’est lassée de défendre le marxisme-léninisme dont les jours semblent comptés, même s’il tient encore en servitude près du quart de l’humanité. Mais elle s’était à nouveau cabrée en entendant le vieux prophète dénoncer le triomphe mou de l’individualisme libéral à cause du "déclin du courage" en Occident "particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante". Il consacra ses dernières années à fustiger ce nouveau matérialisme qui précipite, plus insidieusement mais non moins efficacement que le communisme, l’âme et le corps dans la géhenne : "Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la fin ?"
"Un embrasement spirituel"
Mais ce chrétien refusait le désespoir et appelait à "un embrasement spirituel". "Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, (…) mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné (…). Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n’avons pas d’autre choix que de monter… toujours plus haut" (Discours de Harvard).
Vision prophétique, cette fois encore, que celle de cette "nouvelle étape anthropologique" qu’il nous faut gravir, bon gré mal gré, pour affronter les périls mortels que font courir à l’humanité toutes les "chosifications" de l’homme, le piétinement de la nature humaine, le déni de l’altérité sexuelle et les violations du droit fondamental à la vie.