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L’idéal chrétien : sage ou excessif ?

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Jean Duchesne - publié le 25/03/25
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Si la sainteté de mère Yvonne-Aimée de Malestroit fait encore débat, son message spirituel demeure opportun, estime l’essayiste Jean Duchesne : la foi est un acte de confiance à l’inverse du conformisme.

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Le dernier livre de Jean de Saint-Cheron, Malestroit (Grasset), soulève une question qui porte bien au-delà du cas particulier de mère Yvonne-Aimée de Jésus (1901-1951), supérieure de son monastère d’augustines hospitalières de la petite ville de ce nom dans le Morbihan. Ce qui retient l’attention et même provoque dans la biographie de cette religieuse, est une accumulation confondante de faits proprement exceptionnels, voire surnaturels. C’est au point qu’on se demande s’il y a vraiment là un modèle, une source d’inspiration, pour des chrétiens "ordinaires" qui ne se trouvent pas dans des conditions aussi dramatiques. Pour le dire autrement, la foi peut-elle être paisible et sereine ? Offre-t-elle des normes qu’il suffit de suivre et propose-t-elle des vertus qu’il ne reste qu’à pratiquer sans angoisses ? Ou bien exige-t-elle un engagement dont l’authenticité sera mesurée par l’intensité des épreuves qu’il entraîne ?

Trop beau pour être crédible

Mère Yvonne-Aimée, née Yvonne Beauvais, coche toutes les cases de la perfection : souci précoce et presque féroce des pauvres, qu’elle secourt avec une efficacité inventive ; héroïsme en temps de guerre, salué par des décorations non seulement françaises mais encore américaine et britannique ; autorité créatrice et fédératrice dans son couvent et même dans toute sa congrégation ; exigences mystiques manifestées, à travers des notes rédigées à l’instigation de son confesseur, dans un sentiment d’indignité face à l’amour reçu du Christ et dans l’exaltation de la souffrance rédemptrice. Tout cela sur fond de santé chancelante — handicapante même — et pimenté de miracles à foison (extases, visions, prophéties, bilocations, stigmates, guérisons…). 

Du fait de sa réputation de sainteté, son corps a été exhumé en 1957 et trouvé intact. Mais le Saint-Office a mis fin dès 1960 à la procédure de béatification qui s’esquissait : "Trop de miracles !" On craignait une "vague d’illuminisme", d’excitation superficielle. Le dossier est néanmoins rouvert en 1980, lorsqu’à la demande de la prieure de Malestroit, René Laurentin (1917-2017), prêtre journaliste et spécialiste respecté des apparitions, se met au travail et publie en 1985 aux Éditions O.E.I.L. un livre sur elle, sans objection de la Congrégation pour la doctrine de la foi (qui a succédé au Saint-Office) et avec l’imprimatur de l’évêque de Vannes.

Sans rien édulcorer

L’ouvrage de Jean de Saint-Cheron relance sans doute l’intérêt pour mère Yvonne-Aimée, d’autant que, comme tout livre de qualité, sa parution est rapportée et commentée dans les médias. L’événement et les échos qu’il suscite s’ajoutent à nombre d’articles épars depuis des décennies et aussi relativement récents dans la presse. On trouve également pas mal de publications sur Internet, relayées par les réseaux sociaux. Il est prématuré de prédire une béatification, puis une canonisation, en sous-estimant les problèmes que pose, dans le climat actuel, une spiritualité exaltée, assaisonnée d’une surabondance de phénomènes inexplicables. 

Jean de Saint-Cheron en est lui-même conscient : "J’avoue avoir été tenté de gommer de ce récit les traces de l’extrémisme mystico-doloriste de la jeune Beauvais, de passer sous silence sa vie intérieure pour ne conserver d’elle que le rire clair, le bon coup de fourchette et l’héroïsme — des bidonvilles au maquis." Il choisit cependant de ne rien édulcorer. L’embarras que peut provoquer cette franchise n’empêche pas quelques certitudes chez qui se veut de la même honnêteté sans a priori apologétique ni anticlérical.

Vérification par les fruits portés

Il faut relever pour commencer que le Vatican ne porte pas tel ou telle "sur les autels" en vertu d’un arbitraire souverain. Il s’agit plutôt de la reconnaissance qu’est valide un culte qui existe déjà. Une béatification légitime les demandes locales d’intercession (dans le cadre de la communion des saints) adressées à une figure de croyant dont "l’héroïcité des vertus" a d’abord été dûment constatée. Pour une canonisation, ces prières sont proposées (mais non imposées) à l’Église entière. On voit ici que ce qui compte est les fruits portés par la dévotion : l’autorité romaine prend acte des grâces ainsi dispensées, approuve qu’elles continuent d’être sollicitées par le même "canal" et y encourage même. En l’occurrence, tout dépendra de témoignages de bienfaits reçus en invoquant l’assistance de mère Yvonne-Aimée.

Soulignons ensuite que, si un miracle est nécessaire pour une béatification et si un second est requis pour une canonisation, ce qui est retenu n’est pas un prodige accompli de son vivant par celui ou celle dont le cas est examiné. Et ce n’est pas non plus le simple fait (par exemple une guérison incompréhensible) qui est en lui-même déterminant, mais que cette faveur ait été obtenue en implorant nommément l’aide de ce serviteur (ou cette servante) défunt(e) de Dieu et de ses frères et sœurs. Il en résulte que ce sont désormais moins les signes donnés autrefois par mère Yvonne-Aimée qui importent que ceux qui pourront être accordés par son intermédiaire. 

L’aide pédagogique des révélations privées

Il convient par ailleurs de noter qu’extases, stigmates, transverbérations, bilocations, etc. ne sont pas des nouveautés. Avant la religieuse de Malestroit, on peut citer les saints François d’Assise (1181-1226), Thérèse d’Avila (155-15-1582), Joseph de Cupertino (1603-1663), Pio de Pietrelcina (1887-1968)… En revanche, Marie d’Agréda (1602-1665), célèbre en son temps pour ses lévitations, fut déclarée vénérable, mais n’a jamais été béatifiée. Les phénomènes extraordinaires ne sont donc pas plus suffisants qu’ils ne sont forcément des obstacles.

Ce sont en effet des révélations privées ou particulières. Selon le Catéchisme de l’Église catholique, "elles n’appartiennent pas au dépôt de la foi. Leur rôle n’est pas d’“améliorer” ni de “compléter” la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre pleinement à une certaine époque de l’histoire" (n°67). Il s’ensuit que ces "précisions" ou "éclaircissements" peuvent avoir une valeur pédagogique qui répond aux besoins du moment et que le Magistère peut reconnaître comme inspirée par l’Esprit saint. Mais la foi n’oblige aucunement à y croire, même s’il s’agit d’apparitions confirmées de la Vierge Marie, voire du Christ en personne — comme aux saintes Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) ou Faustine Kowalska (1905-1938) — ou encore de "preuves" matérielles comme l’impressionnant Saint-Suaire de Turin.

Des témoins qui prennent des risques

Reste à s’interroger sur le "message" que véhiculent tous ces signes improbables, par-delà la curiosité qu’ils piquent et qui se fatigue vite. Chez mère Yvonne-Aimée, finalement les prodiges dérangent moins que sa foi même. Pas du tout parce qu’elle serait en proie à des doutes, et bien plutôt à cause d’inquiétudes — non pas égoïstes, mais pour les autres, pour leur salut, pour la désespérance où les enferment épreuves et malheurs. Pas de recette donc pour une vie paisible et heureuse, sage, raisonnable, fondée sur des acquis. Et il y a plus : cette sensibilité altruiste ne s’acharne pas simplement à soulager les misères rencontrées ; car la conscience d’être indigne et faible se traduit en souffrances personnelles, qui ne sont pas que morales mais aussi physiques — et, en union à la Croix du Christ, salvatrices, y compris pour d’autres !

Cette spiritualité se heurte bien sûr à une demande actuellement de moins en moins implicite de sécurisation dans le bien-être. Elle offre pourtant quelques rappels opportuns. L’un est que l’indispensable mobilisation des énergies ne suffit pas à éliminer le mal. Un autre est que la foi est en même temps confiance et tout l’inverse d’un conformisme. Un autre encore est que Dieu veille sans cesse à tirer son peuple de la quiétude dont celui-ci rêve par manque d’ambition, en suscitant en son sein des témoins qui prennent sans fanfare des risques apparemment fous.

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