Campagne de soutien 2025
Ce contenu est gratuit, comme le sont tous nos articles.
Soutenez-nous par un don déductible de l'impôt sur le revenu et permettez-nous de continuer à toucher des millions de lecteurs.
Rechercher avec persévérance le silence peut porter de beaux fruits de conversion et nous réorienter dans l’unité, quand l’agitation du monde nous encombre et nous disperse. Comment en effet le "nous" du "Notre Père" peut-il devenir levain du Royaume quand nos sensibilités liturgiques nous divisent, quand les légitimes opinions politiques qui nous distinguent tournent systématiquement au vinaigre, quand nos familles, nos communautés religieuses, nos paroisses étouffent sous des conflits mesquins ? Le remède n’est pas à chercher du côté d’une indulgence naïve qui accepte tout et n’importe quoi, du côté d’un fade syncrétisme qui renonce à rechercher le vrai : "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil…", ni du côté d’un durcissement de positions qui ne respectent aucune divergence. Le remède est dans le silence qui ouvre grand la porte au Seigneur, seul capable de tout éclairer et de tout restaurer, une porte toujours étroite, celle de l’Évangile.
Le carême, un temps pour la prière
Le chrétien est invité à prier Dieu "notre" Père. Pour que le carême puisse être un temps privilégié pour la prière, il doit devenir aussi un temps consacré à renforcer ce "nous". Le "nous", entre nous… À la messe, toutes les prières s’expriment en "nous" : "nous te prions", que ces offrandes "deviennent pour nous…", "nous t’offrons", "nous te rendons grâce", "nous te demandons", que "nous soyons rassemblés en un seul corps". Les seules prières qui s’expriment en "je" sont celles où chacun demande pardon pour ses propres fautes : "Je confesse à Dieu…", "Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir…"
Dans l’obscurité d’un profond silence, la route à suivre devient claire, et cela suffit.
Comment prier en disant "nous" alors que nous sommes ainsi divisés ? Comment ce "nous" peut-il frapper la voûte de nos églises, s’amplifier en courant de la nef au transept, résonner comme en écho : nous, nous, nous… Le "nous" des membres dont le Christ est la Tête pourra-t-il un jour enfin s’adresser à "notre" Père d’une seule voix, celle du Christ ? Mais cela ne concerne pas les seuls chrétiens. Cela concerne le peuple immense dont les chrétiens sont les représentants devant Dieu notre Père, soutenus par la prière des moines, tous les habitants de ce monde dont nous sommes solidaires.
Se taire…
Comment le silence peut-il renforcer ce "nous" ? Placé dans la Règle de saint Benoît entre l’obéissance et l’humilité, le silence est un don de Dieu. Pour le recevoir, il nous revient de nous taire et d’écouter. Taire les plaintes engendrées par les difficultés qui nous dépassent, par les déceptions inattendues, chaque fois que les événements nous surprennent ou que les autres autour de nous ne réagissent pas comme nous l’attendions. Taire les fausses ambitions qui nous habitent, les rêves d’être saint avant que Dieu ait réalisé cette transformation au rythme qui est le sien. Taire les désirs de dominer, d’avoir raison contre tous, de savoir mieux que tous, de tenir notre vie entre nos mains. Taire les projets qui font dérailler, les vaines émotions, les désirs qui cachent des impasses. Se taire pour se débarrasser des mille et une images qui encombrent l’imagination et voilent la pureté du regard : ces images et ces sons artificiels dont il est si difficile de se détacher.
… et écouter
Écouter la Parole de Dieu. L’écouter vraiment, quand elle nous bouscule et si elle nous dérange, quand elle nous console et pour qu’elle nous affermisse dans la vérité. Écouter ceux que nous ne comprenons pas, car ils ont quelque chose à nous faire entendre. Écouter le bruit du vent à la cime des arbres, car la nature peut devenir un lieu où Dieu se révèle, loin du monde technique dans lequel nous sommes immergés. Taire les murmures mensongers qui inclinent au péché pour écouter la voix du Père qui montre le bien, en retrouvant la dépendance féconde que nos premiers parents ont méprisée, dans l’illusion que tout serait mieux sans Dieu.
Se taire et écouter, surtout dans la prière, devant le tabernacle où Jésus ressuscité nous parle en se taisant. Taire nos sentiments. Taire notre agitation. Taire même nos belles pensées. Taire les prières automatiques où l’on s’occupe de soi. Taire tout cela, pour retrouver la confiance de l’enfant qui tient la main de son Père et ne demande rien d’autre que sa présence. Dans l’obscurité d’un profond silence, la route à suivre devient claire, et cela suffit. C’est l’œuvre de toute une vie. Soyons donc patients, reconnaissants pour les bribes de silence reçues, et surtout persévérants pour le rechercher inlassablement.

