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L’abolition de Jack Lang ?

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Jack Lang.

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Henri Quantin - publié le 12/02/25
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L’ancien ministre de la Culture Jack Lang a été bousculé le 8 février par des militants qui veulent "abolir" la pédocriminalité. Que retenir de cet incident micro-dramatique ? L’analyse de l’écrivain Henri Quantin.

La mini-agression que vient de vivre l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, poussé à terre le 8 février au cri de "pédophile" par des manifestants, offre un raccourci frappant de l’évolution de la société : un vieil homme affaibli, au sol, pour avoir oublié il y a cinquante ans, dans une fameuse tribune de 1977 publiée dans Le Monde et dans Libération, que les enfants victimes de pédocriminels étaient les plus faibles et que c’étaient eux qu’il fallait défendre. Est-ce lui, le plus faible, qu’il faut défendre aujourd’hui, dans ce micro-drame ? Chercher à soustraire des pédophiles à la justice ou vouloir faire justice soi-même en poussant au sol un homme de quatre-vingt-cinq ans… L’anecdote est à l’image de bien des luttes de notre temps, parce qu’elle oppose deux mondes caricaturaux, entre lesquels on ne sait pas trop de quel côté notre cœur penche, si tant est qu’il doive pencher.

Un monde débarrassé du Mal

Un élément important, toutefois, ne nous semble pas avoir été commenté. C’est le nom du petit groupe qui manifestait devant le Palais Garnier : "Collectif international pour l’abolition de la pédocriminalité". "Abolition", le mot est bizarrement choisi, puisqu’il désigne en général un acte politique officiel qui met fin à un droit ou à un usage. L’abolition de la peine de mort, on comprend le principe : le 9 octobre 1981, François Mitterrand promulgue la loi qui supprime la peine capitale. Pour l’abolition de l’esclavage en France, il a fallu s’y prendre à plusieurs reprises (1794 et 1848), mais on peut là encore retracer les étapes parlementaires et la signature définitive du décret. En revanche, parler d’abolition de la pédocriminalité est étrange ; cela suggère qu’il suffirait d’une décision légale pour mettre fin aux viols d’enfants. La revendication revient ultimement à réclamer l’abolition de la réalité, au motif que le bien n’y règne pas. Lutter contre la pédocriminalité et pour que les pédocriminels n’échappent pas à la justice est autre chose.

Lorsqu’une pratique inhumaine longtemps acceptée finit par être abolie, elle ne disparaît évidemment pas entièrement.

En un sens, malgré leurs intentions très différentes, les signataires de la tribune de 1977 et le collectif qui a bousculé Jack Lang n’ont pas des visions du monde si éloignées l’une de l’autre. Les premiers ont cru à un vert paradis d’amours pédophiles, dans lequel une sexualité innocente unirait harmonieusement des jouisseurs épanouis de tout âge. Naïveté confondante, qui ignore la violence de nos égoïsmes charnels, de nos orgueils intellectuels et de nos soifs de domination. De l’autre côté, en brandissant des pancartes pour "l’abolition de la pédocriminalité", les membres du collectif postulent à leur manière un monde débarrassé du Mal, où on pourrait mettre fin à tout crime comme on signe un décret. Naïveté probablement moins coupable, mais qui peut vite glisser vers une conclusion douteuse : pour éliminer le crime, éliminons les criminels. Aux soixante-huitards plus ou moins repentis comme aux abolitionnistes de la pédocriminalité, on est tenté de conseiller un peu plus de lucidité sur le mal irréductible qui marque l’humanité. Cette lucidité n’est pas banalisation, mais, au contraire, condition d’une lutte à peu près juste.

L’idée du péché originel

Du reste, même lorsqu’une pratique inhumaine longtemps acceptée finit par être abolie, elle ne disparaît évidemment pas entièrement. Victor Hugo le remarquait dans Les Misérables à propos de Fantine, dix ans après l’abolition officielle de l’esclavage : "On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours, mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution." Et l’écrivain constatait alors : "La sainte loi de Jésus-Christ gouverne notre civilisation, mais elle ne la pénètre pas encore." On ne sait ce qu’il dirait aujourd’hui de l’avancée de cette sainte loi. On ignore aussi si le spectacle du XXe siècle aurait modéré son progressisme et l’aurait amené à penser que l’idée du péché originel n’était peut-être pas si absurde qu’il le pensait. Ce qui semble sûr, c’est que ce n’est ni en minimisant la gravité des abus sexuels, ni en poussant au sol un vieil homme qu’on fera mieux pénétrer la sainte loi de Jésus-Christ dans notre civilisation.

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