Les dictionnaires de synonymes semblent unanimes : espérance et espoir, même combat. Pourtant, quand le pape François a choisi la tonalité de l’année jubilaire 2025, il a pris pour thème "Pèlerins de l’espérance". En revanche, quand André Malraux décide, en 1937, d’écrire un roman sur la guerre d’Espagne du point de vue républicain, il l’intitule L’Espoir. Au-delà de l'apparente synonymie, donc, car les deux mots ont à voir avec l’attente, quelle différence peut-il y avoir entre l’espérance et l’espoir ?
Les deux substantifs viennent du verbe latin spero, attendre. Rien d’extraordinaire. Si ce n’est que le mot "espérance" a lui été construit à partir du participe présent du verbe : en attendant. Cette origine donne déjà une indication : l’espérance est une attitude de veille permanente, qui est toujours en train de se faire. L’Académie française dit ainsi que l’espoir est "le fait d’espérer, d’attendre quelque chose" quand l’espérance est le "sentiment qui porte à attendre avec confiance un bien que l’on désire".
L’espérance, intrinsèquement liée à la foi
Dans un second temps, le dictionnaire des Immortels parle de la définition spécifiquement chrétienne du mot, mais elle est presque déjà exprimée ici à travers la confiance et le désir. Car, pour les disciples de Jésus, l’espérance est intrinsèquement liée à la foi. "La foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas" dit ainsi l’auteur de la lettre aux Hébreux (He 11, 1). Les deux, avec la charité, sont des vertus théologales, c’est-à-dire des vertus qui ont Dieu pour objet. Et qui sont aussi infusées par Dieu dans les âmes.
Si l’espoir et l’espérance se distinguent, c’est donc par cet objet et cette origine divine, qui fait que l’objet de l’attente n’est rien d’autre que le ciel. Dans son Dictionnaire théologique, Louis Bouyer relie les deux mots de cette manière en définissant l’espérance chrétienne comme l’"espoir d’atteindre la vie éternelle, c’est-à-dire la plénitude de la connaissance et de l’amour de Dieu, fondé sur son propre secours".
L’un des plus importants développements sur l’espérance dans l’écriture se trouve dans l’épître aux Romains, dans laquelle saint Paul invite à mettre "notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu" avant d’expliquer comment entretenir la seconde vertu théologale : "Bien plus, nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné" (Rm 5, 2-5).
Quand il parle aux Colossiens, l’apôtre des Gentils a une définition de l’espérance bien plus courte : "Le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire !" (Col 1, 27) L’espoir humain d’un monde meilleur n’est donc qu’une sorte d’anticipation de l’espérance chrétienne qui tourne vers le monde à venir en même temps qu’elle conduit à aimer ce monde comme Dieu lui-même, pour lui donner à voir un horizon qui n’a pas de fin. Qui parle mieux de cette vertu, moins étudiée que la foi et la charité, que Dieu lui-même dans le dans le Porche du Mystère de la deuxième vertu écrit par Charles Péguy en 1912 ?
Ce qui m'étonne, dit Dieu, c'est l'espérance.
Et je n'en reviens pas.
Cette petite espérance qui n'a l'air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle.
[…]
L'Espérance est une petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l'année dernière.
Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
[…]
C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne voit que ce qui est.
Et elle elle voit ce qui sera.
La Charité n'aime que ce qui est.
Et elle elle aime ce qui sera.
[…]
L'Espérance voit ce qui n'est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n'est pas encore et qui sera
Dans le futur du temps et de l'éternité.