Haïti est-il définitivement perdu ? Plus que jamais, cet État insulaire semble abandonné, laissé à la merci des gangs. La violence qui frappe le pays, ajoutée à une pauvreté sans fin, traumatisent la population, épuisée et sans solution. Dans un entretien accordé à l'Aide à l'Église en détresse (AED) et publié le 6 janvier, Mgr Quesnel Alphonse, évêque de Fort Liberté, s'alarme d'une aggravation sans précédent de la crise qui touche Haïti depuis de nombreuses années, la qualifiant d'"étouffement".
"C’est comme si on était en train de nous noyer. On survit à peine. Les choses deviennent de plus en plus difficiles, et nous ne savons pas ce qui va se passer", témoigne ainsi l'évêque, qui déplore une situation tellement dramatique que tout espoir semble hors de portée. "La vérité est que nous avons l’impression que les gens se sentent très perdus. Ils ne sont pas seulement pauvres, ils vivent maintenant dans la misère. Cela affecte l’ensemble du pays. Le désespoir est à son comble et, dans ce cas, tout peut arriver."
L'évêque décrit des faits particulièrement glaçants : "En un week-end de décembre seulement, 184 personnes ont été brutalement tuées dans des actes de violence", à Port-au-Prince, où pullulent les groupes armés, qui ne se limitent pas aux simples règlements de comptes, mais sèment la terreur jusque dans les familles. Certaines sont contraintes de quitter leur maison afin de laisser les membres des gangs les occuper. Beaucoup sont touchées de plein fouet par la migration : à la recherche de meilleures conditions de vie, les foyers éclatent et se répartissent dans des pays différents, à des milliers de kilomètres de distance. Les jeunes sont les premiers tributaires de cette instabilité, relève Mgr Quesnel Alphonse : "Il y a des cas connus de musulmans qui recrutent des jeunes en les payant près de 100 dollars pour les rejoindre. Bien que l’Islam soit une religion minoritaire en Haïti, sa présence s’est accrue. C’est triste de voir comment ces jeunes adhèrent par nécessité et non par conviction. Beaucoup finissent également par rejoindre des gangs pour la même raison."
Une issue incertaine
Plongé dans une instabilité politique chronique, Haïti s'enfonce toujours un peu plus dans le chaos et la corruption. La multiplication des gangs et le trafic de drogue ne trouvent aucune réponse structurée, puisque l'État est absent : les dirigeants politiques se sont tous succédé en vain, et lorsque le président Jovenel Moïse fut assassiné en 2021, aucune élection ne fut envisagée, empêchant tout espoir de retour à la normalité. Au milieu des décombres d'un pays déchiré, où les services publics sont paralysés et où règne la loi du talion, l'Église tente de maintenir l'espérance à flot, dernière institution à ne pas avoir démissionné. Mais sans intervention extérieure, le pays pourrait bien rester dans l'impasse. "Haïti appelle à l’aide, pour une aide internationale qui ne vient pas", écrivait sur Aleteia en avril 2024 l’historien Charles Vaugirard, qui préconisait une intervention militaire sous couvert de l'ONU. "Vivre en sécurité avec un État stable est la première étape du développement. (...) Aujourd’hui, le pays est dans un stade ultime. Il est grand temps d’agir avec force, tel est l’appel des Haïtiens."