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Corse : une lente évangélisation qui doit beaucoup aux papes

Chapelle Sant’ Eliseu à Saint-Pierre de Venaco près de Corte (Haute-Corse).

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Camille Dalmas - publié le 11/12/24
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Lors de sa visite à Ajaccio le 15 décembre 2024, le pape François devrait visiter l'Antiquarium Saint-Jean, un baptistère paléochrétien. Un monument qui témoigne de la lente évangélisation de la Corse, qui doit beaucoup aux papes.

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L'événement n'a pas encore été officialisé par le Vatican, mais seulement par le diocèse d'Ajaccio. Peu après son arrivée, le pape François effectuera une brève visite dans le baptistère San Ghjuvà – Saint-Jean, en corse – juste avant de se rendre au Palais des congrès pour prononcer un discours sur la religion populaire. Des chercheurs de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont exhumé en 2005 ce baptistère du VIe siècle, soit une cuve en forme de croix placée au milieu d'un abside dans le quartier résidentiel de Saint-Jean, à proximité du centre. Associé à l'antique cathédrale des lieux, ce lieu aurait servi, selon les chercheurs "au lavement des pieds des catéchumènes, avant le baptême à proprement dit". En 2022, les autorités ont inauguré un "Antiquarium", petit musée consacré à l'histoire des premiers chrétiens de Corse, une histoire souvent peu connue, et qui témoigne d'une évangélisation lente.

Dans son Histoire de Corse (1931), l'abbé Casanova affirmait que "pendant les six premiers siècles, l’histoire de l’Église corse ne contient que des légendes et des traditions dignes de respect". Parmi ces légendes, il en est une qui raconte que saint Pierre a lui-même envoyé des missionnaires en Corse en l'an 46 et que treize ans plus tard, ce serait saint Paul en personne qui aurait foulé le sol de l'île, visitant les cités romaines de la côte orientale et du Cap Corse. Cependant, les historiens semblent s'accorder aujourd'hui sur le fait que les premières traces du christianisme en Corse sont relativement tardives au regard de la proximité avec Rome, et datent du Ve siècle.

Les premières directives de Rome

La christianisation va surtout s'accélérer à cette période en raison de l'arrivée d'évêques d'Afrique du Nord (Tunisie). Ces derniers ont été exilés en Corse par les envahisseurs vandales, "barbares" qui défendaient l'hérésie arienne et vont s'emparer de la Corse de 455 à 534. Les chrétiens de Corse vont donc être très inspirés par l'influence du christianisme nord-africain, et, au fil des siècles, vont s'approprier leurs saints. C'est le cas de sainte Restitude à Calenzana, de sainte Julie à Nonza, de saint Perteo à Lucciana, de sainte Dévote dans l'ancien diocèse de Mariana, au sud de Bastia, ou encore de saint Florent, qui donne son nom à la ville éponyme. Ces implantations, situées sur le littoral, montrent cependant que l'évangélisation de l'île n'a pas gagnée le centre du pays où les habitants pratiquent encore des religions païennes. Il faut noter que les traces de ces croyances ancestrales de l'époque n'ont jamais été totalement éradiquées, comme en témoigne la persistance dans certains village de la superstition du mauvais œil ("l'Ochju") ou encore de la croyance chamanique du mazzérisme, une sorte de guérisseur qui agit sur le monde des rêves.

L'abbé Casanova estimait cependant que l'évangélisation de l'île avait sérieusement été menée à partir du pontificat de Grégoire le Grand (590-604). C'est avec ce dernier, en effet, qu'on note les premières directives pour combattre le paganisme : le Pape condamne la persistance de pratiques traditionnelles, même chez des chrétiens, et demande leur éradication, qui est effectuée progressivement au VIIe siècle, avec notamment l'abattage des arbres sacrés et la destruction de certains sanctuaires. Grégoire Ier ordonne aussi le redressement des premiers diocèses, ce qui laisse entendre qu'ils ont périclité.

Quand le Saint-Siège revendique la Corse

La christianisation de l'île a aussi été renforcée par la "Donation de Constantin", un texte juridique à la véracité très discutable, qui transférait l'autorité de l'empereur au Pape. Pour contrer l'ascension de nouvelles puissances, notamment celle des Lombards – qui vont prendre le contrôle de la Corse – les pontifes vont s'appuyer sur ce document pour asseoir leur autorité temporelle sur les anciennes dépendances impériales – dont la Corse. Une légende poursuivant le même objectif raconte que Charlemagne aurait cédé la Corse au Saint-Siège. Toujours est-il qu'au VIIe siècle, le Saint-Siège obtient un important domaine dans le nord de l’île afin d’y exploiter ses bois résineux. Les hommes du pape y ont fait construire une basilique portant le nom de Saint-Pierre. Une des conséquences de cette installation est que la montagne qui surplombe cette région a depuis pris le nom de San Petrone (le mont Saint-Pierre). 

L’évangélisation va cependant être ralentie par l'irruption des barbaresques musulmans dans le bassin occidental de la Méditerranée, où ces redoutables flottes armées multiplient les raids, pillant notamment Rome en 846. Le Saint-Siège va continuer à tenter d’asseoir son autorité en Corse, où les "Maures" établissent des bases pendant près d'un siècle. Pendant cette période, de nombreux corses trouvent alors refuge dans la région de Rome - dont, selon la légende, un certain Formose qui deviendra pape en 891. Alors que l’île passe de mains en mains, malgré les revendications de l’Église, les pratiques religieuses païennes vont pouvoir perdurer dans le centre de l'île jusqu’au début du nouveau millénaire. Finalement, la République de Pise intervient au XIe siècle pour chasser les musulmans, aidée par Gênes. Le Saint-Siège, qui revendique alors la souveraineté de l'île, apporte son soutien à cette entreprise, pendant laquelle de nombreuses églises sont construites. Promettant de réorganiser le clergé, Pise se voit finalement octroyer le contrôle de l'île en 1091, mettant fin aux revendications du Saint-Siège sur la Corse.

S’il est dans l’ensemble oublié, le souvenir d’une “domination” papale de l’île a traversé les âges. "Le pape François est ici chez lui, la Corse est une terre de l’Église”, nous a ainsi affirmé, avec une pointe d’humour, un responsable politique autonomiste.

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