Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi le vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
Vivario est un petit village planté en plein centre de la Corse, comme blotti sur un contrefort escarpé, au cœur d'un cirque de montagnes dominant la vallée du Vecchio. Au bord de la route qui traverse cette localité de 400 âmes, se trouve la petite et robuste église Saint-Pierre-aux-Liens, un bâtiment à première vue sans histoire. Dans les transepts de l'église se trouve cependant un tableau italien étonnant, sur lequel est représenté un pape du IXe siècle : Formose.
Du pape Formose (891-896), on retient le plus souvent des faits qui sont survenus après sa mort, non lors du pontificat suivant - l'éphémère pape Boniface VI n'a régné que 15 jours – mais sous celui du pape Étienne VI. Ce dernier est alors contrôlé par les troupes de Lambert, le comte de Spolète, chef d'une dynastie franque d'Italie qui a longtemps porté la couronne impériale avec l'appui des papes.
Les Spolète (ville fortifiée au nord de Rome) en veulent à la papauté, et en particulier à Formose, qui a sacré empereur le roi germain Arnulf, un des héritiers de la partie orientale de l'empire carolingien. Pour faire annuler le jugement, le comte Lambert force Étienne VI a déterré Formose en janvier 897 pour le juger. Cet épisode restera dans l'histoire comme le "Concile cadavérique", au dénouement duquel l'élection de Formose est annulée. Sa dépouille, à qui on avait fait revêtir ses habits pontificaux pendant tout ce synode épiscopal, a ensuite été livrée à la foule qui l'aurait, dit-on, jetée dans le Tibre.
Des origines mystérieuses
"La tradition dit que Formose vient de Vivario, c'est une histoire que tout le monde connaît au village", explique Claude Grimaldi, le secrétaire de la mairie de Vivario qui se passionne pour le passé de son village. On situe même sa maison dans le hameau de Perello, où, dit-on, il y avait autrefois sur le manteau de la porte une pierre portant les armes pontificales.
Cette version de l'histoire, pour autant, n'est pas celle du Vatican, qui affirme que Formose serait un natif de Porto, l'ancien port antique de Rome (aujourd'hui Fiumicino) situé au nord d'Ostie. Mais quand bien même c'est dans cette ville qu'il a été évêque avant de devenir pape, rien ne semble prouver que le 111e pape de l'histoire y soit vraiment né, sans doute aux alentours de l'an 816.
Pour tenter d'éclairer ce mystère, une rencontre a été organisée dans le village voisin de Murraciole en 1996, date du onzième centenaire de la mort du pape. Un des points d'intérêt lors des interventions, portaient sur le tableau de l'Église Saint-Pierre-aux-Liens, seul véritable indice tangible de la présence de Formose à Vivario.
La création d'un historien ?
Il s'agit d'un cadeau effectué par un certain Oreste Ferdinand Tancajoli, chevalier de l'Ordre de Malte, mais surtout historien de l'art. Proche du fascisme, ce Sarde avait des positions irrédentistes, et considérait en conséquences que certains territoires méditerranéens, dont la Corse, devait retourner dans le giron italien. La légende du pape corse est-elle dès lors une création de cet historien visant à légitimer culturellement le parentage entre la Corse et l'Italie ? C'est possible, mais il reste que les traces qui rattachent le pape Formose à la Corse sont en fait plus anciennes, la première occurrence apparaissant dans l'Athaenum Augusticum du père Agostino Oidono en 1680.
En dépit de l'absence de preuves d'époque concernant le lieu de naissance de Formose, le contexte permet de créer un pont entre le pape Formose et la Corse. Au début du IXe siècle, l'île est devenue la cible des "Maures", pirates musulmans qui sèment le chaos partout en Méditerranée. La confrontation avec cet ennemi a marqué en profondeur la Corse au point de faire figurer une tête de Maure sur son drapeau.
Les papes Léon III (795-816) et Léon IV (847-855) ont alors accueilli des réfugiés corses dans la campagne à proximité de Rome, par exemple un monastère de moniales corses sur la Via Appia mais aussi dans la ville de Porto. Le Liber pontificalis rapporte que le pape Léon IV "incita les Corses qui, terrifiés par les Sarrasins, fuyaient leur propre terre et erraient ça et là en exil, privés de patrie, à chercher le plus vite refuge et salut auprès du Siège apostolique de Rome".
La ville de Porto, qui avait connu une importante période de décadence, aurait alors été confiée aux Corses. Mais Formose faisait-il pour autant partie de ces réfugiés, ou a-t-il été un descendant de ces derniers ? Pour Philippe Pergola, historien appartenant à l'Institut pontifical d'archéologie chrétienne, les deux hypothèses sont peu probables. Dans son intervention lors du colloque de 1996, il avance ainsi qu'il était difficile d'envisager que Formose, intellectuel raffiné, soit issu de ce groupe de réfugiés aux origines paysannes.
À Vivario, on reconnaît que faute de preuves, le mystère des origines de Formose reste entier. "Même s'il faut être prudent avec l'histoire, nous sommes très fiers de penser que notre ville est attachée à l'histoire d'un pape", conclut Claude Grimaldi.