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Depuis que les Français ont perdu la foi, ils ne cessent de parler du diable. Un récent sondage indique que 60% des moins de 30 ans vivant en France déclarent ne pas croire en Dieu, chiffre en hausse vertigineuse. Et cependant tout semble montrer, bien qu’on ne leur ait pas posé la question dans le sondage que j’ai lu, que les Français devenus agnostiques croient de plus en plus aux forces du mal. Ça les occupe beaucoup. Ça les tracasse. Ils ne cessent d’en parler. Le diable existe, disent-ils, ils l’ont rencontré, ils l'ont même vu à la télé : il s’appelle Marine Le Pen ou Jean- Luc Mélenchon. Ce diable bicéphale est escorté d’un essaim de diablotins secondaires désignés sous les noms effrayants de Jordan Bardella, Éric Zemmour, Manuel Bompard ou Mathilde Panot.
Le diable en tête des élections
Le diable politique se porte à merveille. Depuis quelques années, il arrive en tête à toutes les élections. Il a obtenu largement la majorité absolue des suffrages au premier tour des législatives de juin 2024, si l’on veut bien additionner les voix des diables majeurs à celles des diablotins secondaires. Pour autant, une addition de minorités malheureuses peut faire une majorité mais elle ne peut pas bâtir un projet : elle désigne un mur pour foncer dedans. C’est ici que le diable auquel croient les Français est vraiment diabolique : jour après jour, la politique fréquentable devient l’affaire d’une minorité, d’un club de bien-pensants. Le champ du débat autorisé est réduit à un minuscule bac à sable. Les régimes meurent quand le peuple majoritaire ne se reconnaît plus dans la morale des maîtres minoritaires. À maints égards cette échéance est déjà advenue.
La diabolisation politique est au demeurant un formidable outil d’économie d’énergie intellectuelle, car on ne discute pas avec le diable.
La diabolisation politique est au demeurant un formidable outil d’économie d’énergie intellectuelle, car on ne discute pas avec le diable. Discuter demande un effort que plus personne ne veut consentir. L’immédiateté d’Internet engourdit les cerveaux. Dans un monde où le diable est partout, le silence règne. Le silence règne, ou plus exactement règne la version numérique du silence, qui est l’insulte. L’insulte qui encombre nos réseaux sociaux n’est rien d’autre que du silence en version verbale : elle ne débouche sur aucune idée neuve. L’enfer n’est pas seulement pavé de bonnes intentions, il est privé de mots, hormis les noms d’oiseaux. Au pays de la diabolisation, il n'est pas de dialogue possible, pas de controverse, pas de réconciliation, pas de sens partagé d’un intérêt commun, pas de majorité d’idées. Bref, la diabolisation politique entraîne la mort de la politique. Elle prépare la législation automatique fabriquée par l’intelligence artificielle. Bientôt nous n’aurons plus un gouvernement mais une gouvernance, non plus des élections mais des évaluations, non plus des mandats mais des missions, non plus de la légitimité mais une accréditation. Nous nous apercevrons que la République a été enterrée à bas bruit.
La détestation ne fait pas la politique
Poussons plus loin l’observation. À bien lire les journaux, nous contemplons aujourd’hui un personnage diabolisé entre tous, diabolisé par tous, diabolisé indiscutablement, diabolisé rageusement, diabolisé institutionnellement : c’est le chef de l’État. Cet homme jeune qui, il y a peu encore, était d’allure juvénile, a été aimé. Qui s’en souvient ? Oui, il a été populaire, aimé par cette majorité qui aujourd’hui le déteste. Le Président au visage buriné par l’épreuve n’a pas encore quitté ses fonctions, mais il compte déjà moins d’amis autour de lui à l’Élysée que n’en avait l’Empereur dans son exil à Sainte-Hélène. Dévisager un homme qui souffre est inélégant et pourtant nos journaux ne font pas autre chose. Qu’il s’en aille ! disent en chœur les diables de tous poils et aussi les bien-pensants qui, pour une fois, se sentent réunis dans une commune détestation.
Il faut y prendre garde : une commune détestation donne l’illusion du consensus mais ne fonde pas une politique. Exilé le Président, aucun des ennuis qui accablent le pays ne disparaîtra. Il n’existe pas dans notre Histoire, sauf rarissime exception, d’homme providentiel. Il n’existe pas davantage de bouc émissaire providentiel. Plutôt que de lancer des insultes, il est urgent que nous apprenions à échanger des idées avant que le diable du silence ait gagné la partie. Qui censure les mots arme les bras.