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L’entrée dans l’Avent se fait sur la pointe des pieds, sans l’austérité et les secousses de celle du carême qui commence par nous saupoudrer de poussière pour nous rappeler à la réalité de notre humaine condition. L’Avent est plus sobre, moins théâtral. Il se glisse dans le violet sans la préparation de la Septuagésime, sans crainte ni tremblement, et pourtant, il est aussi une invitation à la pénitence comme prémices à la joie de la naissance de Celui qui nous sauve.
Pour tout recommencer
Toute attente est douloureuse car son objet appartient encore au rêve, ou à l’imagination, ou à une réalité qui n’est pas présente. La délivrance ne sera accordée que par la réalisation de ce vers quoi l’âme tendait avec tant d’effort et de patience. L’Avent ne fait pas exception : il installe une inquiétude malgré la foi et l’espérance. Qui sera donc cet Enfant promis ? Vous allez dire que l’effet de surprise n’est plus, puisque, depuis deux mille ans, nous connaissons désormais toute l’histoire et que nous avons l’impression de tout maîtriser. C’est là que réside le piège car, justement, l’Avent est là pour tout recommencer. Ce n’est pas par hasard s’il est l’ouverture de la nouvelle année liturgique puisqu’il écrit un chapitre pas encore rédigé. Il nous faudrait retrouver plus d’abandon et de spontanéité pour nous laisser emporter afin d’être éblouis, vraiment et profondément, le jour de la Nativité. L’inspiration des poètes peut nous porter, eux qui sont souvent travaillés par des attentes tendues vers l’indicible et qui sont capables de se laisser envahir par l’étonnement spirituel et métaphysique en face de la réalité et de l’éternité.
Le tissu de ces heures qui dégringolent
Au seuil de l’hiver, déjà si mordant et pourtant pas encore car se réservant des jours plus piquants, décembre en premier rassemble en lui tant de promesses, pour l’instant glacées, et il demande à chacun l’exercice de la patience et de l’attente. Le poète Philippe Jaccottet exprimait ainsi le tissu de ces heures qui dégringolent, enserrées par une nuit qui ne cesse de s’allonger et qui semble être prête à nous dévorer tout à fait :
"Une personne en patience et paix tournée
vers l’aveuglant passage d’une à l’autre année,
ayant sa peine derrière elle, son regret,
et l’herbe néanmoins s’apprête, persévère,
l’espace semble illuminer sa loi sévère,
et l’astre tourne, monte et descend les degrés…"
(L’Ignorant, "Soleil d’hiver")
Il suffit d’attendre, la paix au cœur
Pour un tel auteur, le dernier acte de toute vie est lumière, y compris au sein de l’hiver et il suffit d’attendre avec la paix au cœur. Lorsque la lassitude risque de conduire au découragement, de faire croire qu’il est vain de poursuivre l’attente, c’est alors que retentit, des profondeurs de la nuit, le chœur des anges qui proclament la venue de Celui que tant de générations espéraient et qui tardait à se révéler. Pour accueillir le Messie, il est nécessaire de déposer sa canne d’aveugle et de marcher avec confiance dans l’obscurité, de laisser de côté ce qui inquiète, ce qui angoisse, ce qui pèse :
"Moins nos larmes apparaîtront brouillant nos yeux
et nos personnes par la crainte garrottées,
plus les regards iront s’éclaircissant et mieux
les égarés verront les portes enterrées."
(L’Ignorant, "Que la fin nous illumine")
L’Avent est ce temps durant lequel, pelle à la main si le temps est neigeux, il est nécessaire de déblayer l’entrée de cette porte jusqu’alors négligée que le Nouveau-Né franchira comme un roi de gloire dans l’humilité. Son pas approche, ténu, presque silencieux ; et le poète de nous dire encore :
"Écoute, écoute mieux, derrière
tous les murs, à travers le vacarme croissant
qui est en toi et hors de toi,
écoute… Et puise dans l’eau invisible […]"
("À la lumière d’hiver")
Le temps suspendu
L’Avent est le temps du repos : les bêtes sont à l’étable et ne quittent pas les écuries. Tous les êtres se recroquevillent en rassemblant leurs forces et leur chaleur. Il semble que tout soit mort dans la nature dépouillée, sans espoir de retour pour la feuille verte et le grain lourd, et pourtant, si tout sommeille, tout est en germe, prêt à éclater au grand jour le moment venu. Paul Claudel décrit cette attente austère :
"Ces après-midi de décembre sont douces. Rien encore n’y parle du tourmentant avenir. Et le passé n’est pas si peu mort qu’il souffre que rien lui survive. De tant d’herbe et d’une si grande moisson, nulle chose ne demeure que de la paille parsemée et une bourre flétrie ; une eau froide mortifie la terre retournée. Tout est fini. Entre une année et l’autre, c’est ici la pause et la suspension. La pensée délivrée de son travail, se recueille dans une taciturne allégresse, et, méditant de nouvelles entreprises, elle goûte, comme la terre, son sabbat."
(Connaissance de l’Est, "Décembre")
"Les bons coqs, vigilants "
Oui il faut que l’âme et l’esprit se posent un instant pour accueillir l’incroyable, la Nativité, non seulement une année toute neuve mais un monde nouveau et un homme nouveau. Pour nous accompagner dans cette attente où nous avançons en laissant nos empreintes dans la neige, nous croisons saint François-Xavier avec sa soutane usée et son regard tourné vers l’Orient, et puis saint Nicolas, "pontife ganté dans la nuit" (Paul Claudel, Corona benignitatis anni Dei), saint Ambroise, pourfendeur d’hérésies et maître d’Augustin, et bien sûr l’Immaculée, dont la blancheur nous aveugle et nous apaise, sainte Lucie couronnée de lumière, et saint Thomas, l’incrédule dont la foi s’incline devant la divinité du Maître. Nous ne sommes pas seuls pour tracer une route entre les pans de glace constitués par le monde indifférent ou hostile. Le froid nous pique les yeux et nous engourdit les doigts, mais le ciel nous saute au visage et l’Étoile brille au sein de la Voie Lactée. La grande attente n’est pas triste, elle est haletante, et les enfants — ceux qui croient plus qu’au Père Noël mais dont le cœur bat pour le Petit Jésus — s’y jettent sans crainte et en comptant les jours qui les séparent de la crèche.
Nous savons bien qu’Hérode règne en maître en cette terre, et qu’il faut le servir dans l’ordre qui est le sien si César n’empiète pas sur la gloire de Dieu, mais ce qui nous permet de poursuivre, de tenir bon, est l’espérance de ce petit être nu sur le sein de sa Mère. Paul Verlaine, reprenant un chant patois de sa région, "dans les Avents les côs chantont" - (durant l’Avent les coqs chantent), nous compare à ces volatiles fidèles dans leur attente :
"Et comme une âme les bons coqs,
Vigilants, tels au temps de Pierre,
Souffrent, mais, en dépit des chocs
D'ombre, chantent, et l'âme espère."
(Liturgies intimes, « Avent »)
Demeurer à son poste
Le roi Salomon, dans sa sagesse, déclare : "C’est une pierre précieuse très agréable, que l’attente de celui qui espère. De quelque côté qu’il se tourne, il agit avec intelligence et prudence" (Livre des Proverbes, 17, 8). Le chrétien n’est point comme le Daphnis de La Suivante de Pierre Corneille : "Qu’en l’attente de ce qu’on aime /
Une heure est fâcheuse à passer !" L’attente du Fils est au contraire bien douce et chaque heure nous comble. Nous sommes certes des vigies ensommeillées, mais l’essentiel est de demeurer à son poste, avec les Saintes Écritures dans une poche et la Poésie dans l’autre, et la paix au cœur, ceci pour ouvrir les bras à l’aube à nulle autre pareille, entre le bœuf et l’âne gris.