La politique étrangère n’est pas le sujet principal de préoccupation des électeurs américains, sauf quelques minorités bien définies, comme les juifs de New York, acquis aux démocrates, ou les musulmans du Michigan, autrefois démocrates, mais de plus en plus enclins à voter républicain. Ce qui, dans un État-clef pour la victoire finale, pourrait faire basculer cet État traditionnellement démocrate, comme en 2016. Mais en politique étrangère, les administrations se suivent et se ressemblent. Le néo-conservatisme initié par George Bush lors de la première guerre du Golfe (1991) fut poursuivi par Bill Clinton, notamment lors de ses interventions dans les Balkans et en Serbie puis par Georges Bush fils, toujours en Irak (2003).
De l’Irak vers l’Asie
La première inflexion est venue de Barack Obama, qui a initié le pivot vers l’Asie, pivot repris et complété par Donald Trump puis par Joe Biden. Au-delà des mots et des styles, au-delà des discours, la politique étrangère change peu d’un président à l’autre. Et pour cause : l’administration reste en place, notamment les officiers généraux, le Congrès évolue moins vite que le résident de la Maison-Blanche, or celui-ci joue un rôle essentiel en matière de politique étrangère, notamment pour décider d’une opération militaire. Surtout, une diplomatie se construit sur un temps beaucoup plus long qu’un mandat présidentiel de quatre ans. Que Kamala Harris ou Donald Trump gagne ces élections ne changera pas le fondement de la politique américaine. Donald Trump a beau annoncer qu’il mettra rapidement un terme à la guerre en Ukraine et qu’il trouvera une solution pour la guerre à Gaza, les forces tectoniques en présence sont si virulentes qu’il faudra bien plus qu’une simple volonté présidentielle pour changer la donne.
L’Américain moyen en juge de paix
C’est qu’aux États-Unis la situation sociale est de plus en plus dramatique et fragile. La crise des opiacés frappe durement des populations urbaines appauvries. Pour la première fois, l’espérance de vie recule. La pauvreté touche une partie grandissante de la population qui parvient difficilement à payer les frais de santé et les dépenses courantes. En conséquence de quoi, les milliards d’aides accordés à l’Ukraine passent mal au sein de cette population fragilisée. De même que les investissements massifs dans l’armée et le soutien à des opérations extérieures, comme l’Afghanistan et l’Irak, très coûteuses. Donald Trump l’a compris et une partie des élites démocrates aussi, qui appellent à réduire les crédits à l’international afin de les attribuer aux populations américaines appauvries. La politique étrangère n’est donc pas uniquement guidée par des projets d’empire et de contrôle de l’ordre du monde, mais par la nécessité de répondre à la détresse d’électeurs américains qui ne comprennent pas pourquoi leurs impôts devraient financer Kiev et Kaboul plutôt que le Nebraska ou l’Arizona.
Dans la stratégie du pivot américain vers l’Asie, c’est aussi ce raisonnement social et économique qui entre en jeu. L’industrie américaine est lourdement touchée par la concurrence asiatique. La ville de Détroit, siège de Ford, n’est plus que l’ombre d’elle-même quand Shenzhen, siège de Huawei, est neuve et florissante. Les ports chinois sont parmi les premiers au monde en termes de chiffre d’affaires, ce qui n’est plus le cas des ports américains. Le déclin de la puissance américaine ne se marque pas dans son armée et sa capacité à modeler le monde, mais dans les fractures sociales et l’appauvrissement d’une partie de la population.
Le véritable adversaire
Si Barack Obama a opéré le pivot vers l’Asie, c’est pour contrer la puissance chinoise et redonner du dynamisme à l’économie américaine. Avec ses mots et son style, Donald Trump a repris ce combat en 2016, qu’il souhaite poursuivre à partir de 2024. Accès à une énergie moins chère, développement de véhicules plus accessibles, progrès de l’innovation technologique, défis de l’IA ; ce sont autour de ces dossiers que se joue l’avenir de la puissance américaine. Et cela passe par un bras de fer continu avec la Chine, qui conduit les États-Unis à se détourner de l’Ukraine et du Proche-Orient. Quel que soit le prochain président, les Européens devront faire avec des États-Unis financièrement et militairement moins présents sur leur sol, car trop occupés à lutter contre leur véritable adversaire géopolitique : la Chine.