À Jean, Marie-Madeleine et Claire, ses émotions
« Laissez-moi clamer mon indignation. Et j’espère que vous la partagerez ! Oui, je suis indigné du sort qu’on vous fait dans l’iconographie, du moins récente, dans le monde catholique occidental. Sous prétexte que vous êtes le benjamin du collège apostolique, on vous fait une tête de fille et une silhouette d’androgyne. »
Avec une pointe d’humour, il prend la défense de Marie-Madeleine partagée en trois par les exégètes !
« Ô sainte Madeleine, il y a longtemps que je médite une lettre à votre adresse. Ces jours-ci, il me semble qu’elle est mûre, ou qu’en tout cas les mots vont me venir sans grand effort. Car les idées sont là en moi depuis longtemps. D’abord, êtes-vous une ou trois ? Les exégètes penchent pour trois. Ils s’en tiennent à la seule analyse des textes. C’est leur métier. Les textes, en effet, parlent de vos faits et gestes comme venant de trois personnes distinctes. Mais la foi des fidèles et la sainte liturgie — lex orandi, lex credendi — ressentent comme par instinct qu’il s’agit là de facettes d’un seul et même mystère. »
Il reconnaît, devant sainte Claire, qu’il a souvent négligée de la prier :
« Longtemps je vous ai ignorée, chère sainte Claire. Deux années de séjour via Santa Chiara à Rome, avec la liturgie quotidienne dans la chapelle placée sous votre patronage, ne m'ont pas ouvert les yeux. Il a fallu que je passe à Assise à la fin de mes études pour découvrir votre sillage lumineux et remonter à la source. C’est là que j’ai appris votre courage de femme sans peur, allant au-devant des Sarrasins, munie seulement de l’ostensoir qui portait votre Époux. »
À Thomas d’Aquin, une lettre complice
Avec saint Thomas d’Aquin, sa solide culture théologique et ses années d’enseignement au séminaire se réveillent :
« Pourquoi cette sympathie pour vous ? Parce que vous êtes dominicain ? Ou parce que les dominicains sont thomistes ? Je ne sais. Je crois que c’est d’un seul et même mouvement que je vous vénérais, vous saint Thomas, et que j’admirais les dominicains. Je me préparais à un ministère diocésain et déjà je rêvais d’un apostolat comme celui des prêcheurs. Je me voyais travaillant intellectuellement de manière sérieuse, scientifique. J’étais heureux d’être professeur de philosophie. Je n’étais pas “prédéterminant”. Bañez me semblait être allé trop loin. Mais j’abominais Molina et si j’aimais beaucoup saint François de Sales, c’était “bien qu’il fût moliniste”. Maintenant, je me rends compte qu’un instinct profond me poussait à adopter les positions de vos frères en religion : cette affirmation du haut domaine de Dieu sur toute créature, fût-elle douée de liberté ; cette assurance que Dieu a toujours l’initiative et qu’il n’échoue pas ; qu’il sait mener à bien toute chose, en respectant mystérieusement, la liberté de son partenaire humain. »
Des relations difficiles avec Jean de la Croix
Ses relations difficiles avec saint Jean de la Croix finissent par s’apaiser aussi. Après lui avoir fait part de toutes ses réticences à son égard, il lui écrit :
« Voilà ! Je crois avoir terminé mon réquisitoire et vidé mon sac. Pardon pour toutes les choses méchantes et sans doute injustes que je vous ai dites. Et merci de m’avoir écouté. Car je sais que vous m’avez écouté. Je n’en veux pour preuve que la lumière qui, peu à peu, s’est faite en moi ces temps derniers, à la session et ici au désert. J’ai passé avec vous mes jours de retraite. Pendant mes oraisons, vous étiez là avec la cour céleste, comme dit notre Madre. Vous n’avez dû voir dans mon trouble qu’un défaut de jeunesse — à quatre-vingt-trois ans ! — ou une crise dont vous avez voulu, paternellement, me faire sortir. Car je commence à voir les choses différemment… »
Son affection à François de Sales
« Monseigneur, ne soyez pas surpris de ce titre. C’est celui qu’on vous donnerait sur terre à présent. De votre temps, vous étiez “Monsieur de Genève”, bien qu’en résidence à Annecy. Si j’use de ce titre protocolaire, ce n’est pas pour garder la distante, mais avec cette familiarité amusée qu’on peut entretenir avec les saints, quand elle n’exclut pas le respect. »
Il y aurait encore beaucoup à découvrir. Nul doute qu’un tel exemple nous stimulera à nous forger ce « panthéon » de saints, comme le père Jean le dit en s’adressant à Thomas More ! Les saints n’attendent qu’à devenir nos amis. Adressons-nous à eux comme tels !