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L’honneur de Jacques Fesch

Jacques Fesch a été guillotiné le 1er octobre 1957 pour avoir tué un policier.

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Jean Duchesne - publié le 22/10/24
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Gérard Fesch n’a pas obtenu le « rétablissement de l’honneur » de son père, condamné à mort pour le meurtre d’un policier. Sans une conception étroite la laïcité et des preuves, regrette l’essayiste Jean Duchesne, co-auteur de « l’Affaire Jacques Fesch » (Ed. de Fallois), un guillotiné aurait pu être « réhabilité ».

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La Cour de cassation a rejeté la demande de « réhabilitation » de Jacques Fesch, guillotiné il y a 67 ans pour le meurtre d’un policier. Il s’agissait non pas de désavouer une condamnation à mort, mais de « rétablir l’honneur » d’un coupable exécuté, « à raison des gages d’amendement qu’[il] a pu fournir ». C’est ce qu’avait rendu possible une décision du Conseil constitutionnel en 2019. Au vu du dossier tel qu’on peut en avoir connaissance, cet arrêt négatif est déconcertant. Et certaines de ses motivations peuvent ne pas convaincre.

Les crimes de Jacques Fesch sont irrécusables : vol à main armée et avec violences, coups de feu (un mort et un blessé) pendant sa fuite avant d’être maîtrisé. Lui-même n’a jamais rien nié. Ce fils de famille aisée n’avait pas hésité à braquer un changeur près de la Bourse à Paris, pour se procurer l’argent nécessaire à l’achat d’un voilier qui l’emmènerait loin de ses échecs. Il avait prémédité l’attaque, mais pas de tuer ensuite, d’une seule balle tirée à travers la poche de son manteau et sans ses lunettes de myope, l’agent de police qui le sommait de se rendre.

Un refus reconnaissant !

Lors de son procès trois ans plus tard, aucune allusion n’a été faite à sa conversion en prison, et il a été condamné à la peine capitale, bien que l’homicide n’ait pas été prémédité et ne justifiât donc pas le châtiment suprême. Mais les indépendantistes algériens multipliaient alors les actes terroristes visant ceux qui représentaient la France, et l’opinion exigeait que soit impitoyablement puni quiconque s’en prenait aux forces de l’ordre. C’est d’ailleurs aussi pourquoi René Coty, président de la République, refusa sa grâce — à regret pourtant, en espérant que Jacques Fesch « accepte le sacrifice de sa vie pour que la vie d’autres gardiens de la paix soit sauvegardée » et en promettant de « lui en garder une reconnaissance infinie » ! 

L’arrêt de la Cour de cassation rend pratiquement vaine — et c’est un sujet de perplexité — la décision du Conseil constitutionnel : que peut faire une personne à laquelle ne reste plus de liberté d’action et dont les paroles et écrits ne sont publiables qu’après sa mort ?

Le fait est que le jeune homme (né en 1930) avait changé depuis son arrestation. C’est par faiblesse qu’il avait dérivé dans la délinquance, dans une ambiance où l’existentialisme en vogue privait de référence transcendante le discernement du bien et du mal. Face à la réalité des malheurs qu’il avait provoqués et de leurs conséquences pas uniquement pour lui-même, il n’a pas cherché d’excuses et ne s’est pas révolté contre son sort. Il a seulement essayé de comprendre comment il en était arrivé là. Son comportement a été jugé exemplaire par ses gardiens et par le directeur de la prison qui l’estimait socialement réintégrable. Il a soutenu le moral des autres détenus avec lesquels il a pu entrer fugitivement en contact. C’est ce qui se manifeste dans ses écrits publiés par la suite et est confirmé par de nombreux témoignages.

La liberté qui reste au prisonnier

On se demande quels autres « gages d’amendement » il avait les moyens de donner dans les conditions de son isolement carcéral strict d’inculpé puis de condamné. L’arrêt de la Cour de cassation rend pratiquement vaine — et c’est un sujet de perplexité — la décision du Conseil constitutionnel : que peut faire une personne à laquelle ne reste plus de liberté d’action et dont les paroles et écrits ne sont publiables qu’après sa mort ? Ces éléments n’ont pas été tenus pour des « gages d’amendement » de l’intéressé, parce que « postérieurs à son décès et indépendants de sa volonté ». Comme si on ne pouvait faire du bien qu’en contrôlant tout…

À ce compte-là, aucune œuvre posthume n’est imputable à son auteur, s’il n’est pas avéré qu’en en laissant le manuscrit, il a consciemment espéré quelque crédit ultérieur… Il en va de même pour les « réparations » que Jacques Fesch devait et a pu offrir. La Cour de cassation note que « la réalité de l’indemnisation des victimes n’a pas été établie ». Mais diverses dépositions montrent que son père a au moins proposé des aides financières pour la fille du policier tué. Peut-on exiger qu’il en reste des traces documentaires soixante-dix ans après ? De même, Georges Fesch a sans doute donné de l’argent à la jeune femme que son fils avait séduite peu avant son crime. Il est clair que Jacques a lui-même reconnu, autant qu’il le pouvait, l’enfant né de cette union. La justice l’a elle-même confirmé en accordant à ce garçon prénommé Gérard le patronyme de Fesch et d’être l’« ayant-droit » demandant une « réhabilitation ».

C’est une conception restrictive, discutable si ce n’est fâcheusement irréaliste de la laïcité que de cantonner le religieux dans la sphère du privé et de rejeter a priori qu’il puisse avoir un impact sensible et même fructueux dans les relations humaines et la vie collective.

Un élément capital de l’« amendement » du criminel a bien sûr été sa décision de croire en Dieu au bout d’à peu près un an de détention. La foi ainsi découverte (plutôt que retrouvée) a indubitablement été une motivation décisive dans sa transformation. Il ne peut être reproché à la Cour de cassation d’avoir respecté le principe de distinction entre le spirituel et le temporel en considérant que sa piété n’était pas « en soi » une « preuve suffisante » de son redressement moral et de sa détermination à remédier aux torts graves qu’il avait causés.

Le guillotiné était-il le même que l’assassin ?

Mais c’est une conception restrictive, discutable si ce n’est fâcheusement irréaliste de la laïcité que de cantonner le religieux dans la sphère du privé et de rejeter a priori qu’il puisse avoir un impact sensible et même fructueux dans les relations humaines et la vie collective, y compris dans la culture. L’attachement institutionnel et populaire aux cathédrales dans notre pays sécularisé, comme on le voit en ce moment pour Notre-Dame de Paris, est un indice que la séparation ne signifie pas l’exclusion, comme l’est aussi la présence (prévue par la loi !) d’aumôniers dans les établissements d’État (d’enseignement, militaires, pénitentiaires et même — pour en revenir au cas qui nous occupe ici — jusqu’au pied de l’échafaud).

En l’occurrence, si « l’affaire Jacques Fesch » ne cesse de retenir l’attention, ce n’est pas simplement en tant que tragique « fait divers ». C’est aussi parce que ce destin interpelle non seulement les croyants, mais encore les autres. Les premiers doivent s’interroger : qu’a voulu la Providence en laissant ce jeune homme s’égarer à ce point avant de lui faire la grâce non pas de se résigner à son châtiment, mais de s’unir au Christ dans des conditions sans analogue depuis le « bon Larron » (Lc 23, 40-43) ? Les seconds pourraient se demander si celui qui a été guillotiné était le même que le meurtrier du policier, et encore si la foi est aussi ignorable dans son cas que face à une crucifixion de Fra Angelico ou à un roman de Bernanos.

Un frère de Meursault

Julien Green a répondu le 5 avril 1958 dans son Journal à la première de ces questions : « C’était un mauvais garçon qu’on a mis en prison et c’est un homme très différent à qui on a tranché la tête. » Et le 22 janvier 1972, ayant reçu Lumière sur l’échafaud, le premier livre publié de lettres de Jacques Fesch, il parle d’« un changement extraordinaire qui a fait de ce jeune assassin quelqu’un dont on n’hésite pas à dire que c’était un mystique ». L’écrivain rejoignait là René Coty qui, après avoir refusé la grâce présidentielle, avait confié à l’avocat du condamné : « Dites à Jacques Fesch que je lui serre la main pour ce qu’il est devenu. »

Une « réhabilitation » n’aurait donc pas été arbitraire ni sans prémices. Elle aurait aussi pu remédier à des anomalies choquantes lors du procès : menaces de grève de la police si le verdict n’était pas la mort ; le président du tribunal se laissant offrir à dîner la veille du jugement par l’avocat des parties civiles, principal accusateur qui avait réussi à amalgamer la préméditation du meurtre de l’agent à celle de l’attaque du changeur ; une rature sur le procès-verbal de délibération du jury, montrant que des circonstances atténuantes qui évitaient la peine capitale avaient d’abord été admises, puis inexplicablement refusées… L’honneur de Jacques Fesch reste d’être un frère sans désespérance de Meursault, le héros de L’Étranger (1942) d’Albert Camus, guillotiné que suffit à rasséréner « la tendre indifférence du monde ».

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