Un quart de siècle après l’exécution de Jacques Fesch, son fils Gérard demande à la justice une réhabilitation sans se prononcer sur le procès de béatification son père ouvert par l’Église. Il y a 25 ans, juste avant Noël, le cardinal Lustiger provoquait la polémique en évoquant le message de ce bon larron repenti in extremis, à travers la naissance de l’Enfant venu pour sauver ce qui était perdu.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi le vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Il y a tout juste 25 ans, dans une interview au Figaro juste avant Noël qu’il s’apprête à aller célébrer dans Sarajevo assiégée, le cardinal Lustiger relance l’affaire Jacques Fesch. C’est d’ailleurs là-dessus, et non sur la guerre en Bosnie, que l’interroge d’abord le journaliste, Élie Maréchal. Celui-ci a été frappé d’entendre l’archevêque de Paris parler, au cours d’une catéchèse en français pendant les JMJ de Denver l’année précédente, de ce jeune homme guillotiné en 1957 pour avoir tué trois ans et demi plus tôt un policier qui tentait de l’arrêter après un braquage maladroit et raté.
Un meurtre non prémédité
Ce fils de bonne famille, qui n’avait pas réussi grand-chose auparavant mais sans verser dans la délinquance, ayant perdu tout repère moral dans la culture ambiante, avait voulu voler de l’argent pour acheter un voilier et partir jusqu’aux îles paradisiaques du Pacifique. Il se convertit progressivement en prison. Mais on n’en parla pas pendant son procès, qui fut entaché d’irrégularités à son préjudice, ni au moment de son exécution, qui suscita l’émotion car ce n’était manifestement pas un criminel endurci et, si l’attaque à main armée était préméditée, le meurtre de l’agent ne l’était pas.
Certaines de ses lettres de prison furent publiées (Lumière sur l’échafaud en 1971, puis Cellule 18 en 1980) et enfin le journal qu’il avait tenu dans les deux mois précédant son exécution (Dans 5 heures je verrai Jésus, 1989). Ces écrits ont eu un retentissement certain, si bien qu’une demande de béatification a été introduite, conformément aux dispositions édictées par Rome suite au nouveau Code de droit canonique, là où il était mort, c’est-à-dire à Paris. Et après un premier examen du cas, le cardinal Lustiger avait favorablement accueilli cette requête et ouvert une procédure.
L’exemple du bon larron
La publicité faite dans un grand quotidien national à cette possible béatification d’un criminel déclencha une polémique qui se poursuivit dans la presse les premiers mois de 1995 : les uns maintenaient qu’on ne devrait pas donner un assassin en exemple, même s’il s’est repenti in extremis ; les autres soulignaient un précédent : le bon larron crucifié à côté de Jésus qu’il reconnaît innocent en s’avouant lui-même coupable et justement châtié, avant de s’entendre dire : « Dès aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 38-43).
Lire aussi :
Affaire Jacques Fesch : le combat d’un fils pour réhabiliter son père
Un quart de siècle plus tard, alors que Gérard, fils de Jacques Fesch, demande à la justice une réhabilitation en disant : « Je n’ignore rien de la gravité de ce qu’a fait mon père. […] Je voudrais qu’on lui reconnaisse ce chemin intérieur par lequel il a voulu devenir un homme meilleur », et en précisant : « Pour la béatification, c’est à l’Église de se prononcer » — il vaut la peine de regarder d’un peu plus près comment le cardinal Lustiger a justifié son espoir « qu’un jour Jacques Fesch sera vénéré comme une figure de sainteté ».
Lustiger verbatim
En reprenant le texte complet des propos recueillis par Élie Maréchal, on peut lire :
« Jacques Fesch a […] donné l’exemple d’une vie radicalement transformée par la conversion alors qu’il subissait l’épreuve de la prison. Un tel changement devrait donner un grand espoir à ceux qui se méprisent eux-mêmes, qui se regardent comme irrémédiablement perdus. […] Aucune personne ne peut se dire exclue de l’amour que Dieu lui porte. Nul n’est un “bon à rien”. […] J’entends bien les objections. […] Le jugement de l’Église ne se substitue pas à la justice humaine. Celle-ci, dans un pays dont la culture et l’histoire sont marqué par le christianisme, ne peut pas ne pas être nourrie par cette certitude que la dignité de chacun et par l’expérience de la miséricorde divine. Lorsque Jésus déclare : “Les prostituées vous précéderont dans le Royaume des cieux”, il ne canonise pas la prostitution ; il annonce la repentir de prostituées ».
Est-il « possible d’obtenir une sorte de pardon de la part de la République », comme le demande un des avocats de Gérard Fesch ? Si la justice reconnaissait que celui qui a été exécuté n’était plus le même que celui qu’elle a condamné, serait-ce une enfreinte à la sacro-sainte laïcité puisque cette rédemption (s’il faut appeler cette transformation par son nom) a eu des motivations et même des retombées religieuses ?
Comment l’Église décide
Quoi qu’il en soit, cela n’influera pas sur la façon dont l’Église se prononcera. Ce qui compte pour une béatification n’est pas le jugement des hommes ni de la société. Ce n’est pas non plus une décision souverainement omnisciente et unilatérale du bureau romain chargé de trancher. Car tout dépend des fruits que porte le témoignage de celui ou de celle dont il est question de donner en exemple non pas la vie, mais la foi, de sorte que l’on peut avec confiance lui demander de relayer auprès de Dieu les prières de et pour ceux qui sont dans une situation plus ou moins analogue et ont besoin d’aide pour ne pas désespérer.
Lire aussi :
Fils d’assassin et fils de saint, entretien avec Gérard Fesch
Autrement dit, l’Église n’invente ou ne fabrique pas des bienheureux et des saints selon son bon plaisir ou selon les règles du marketing spirituel. Elle examine les vénérations qui se développent spontanément et, si elles s’avèrent légitimes, elle les reconnaît solennellement et les encourage. Jacques Fesch sera donc béatifié uniquement si assez de croyants, de mal-croyants et même d’incroyants l’invoquent et témoignent des grâces qu’ils reçoivent. C’est d’ailleurs pourquoi il est prévu qu’un miracle sera requis. Ce n’est pas qu’il faudrait un signe surnaturel qui suffirait par lui-même. Car encore faudra-t-il que cette guérison (c’est le cas le plus fréquent) puisse être explicitement attribuée à l’intercession de Jacques Fesch. C’est le témoignage de cette personne et de celles et ceux qu’il aura inspirés et secourus qui sera décisif.
Suivre le Christ
Il apparaît alors que la cause de ce jeune homme n’est pas entre les mains d’un tribunal, qu’il soit ecclésiastique ou civil, mais entre les nôtres. Alors qu’on lui prenait sa vie pour lui faire payer son crime, il a suivi le Christ en l’offrant. Nous pouvons croire qu’il est pardonné comme l’a été le bon larron. Il nous reste à nous demander si c’est pour nous aussi qu’il a donné sa vie, pour nous inviter à imiter le Christ dans les conditions assurément et heureusement moins extrêmes où il arrive que notre cœur se brise parce que nous pensons n’être pas aimés et ne plus pouvoir aimer.
Ce questionnement n’est pas hors de saison à la veille de Noël. C’est ce que le cardinal Lustiger confiait à Élie Maréchal il y a 25 ans : « Cet amour plus grand que notre cœur brisé, c’est aussi le mystère de Noël. L’amour de Dieu est trop grand pour nous laisser sombrer. L’Enfant qui nous est né vient sauver ce qui était perdu. »
En savoir plus :
Pour mesurer sur pièces l’enjeu de l’affaire Jacques Fesch, le mieux est de se reporter à l’édition de ses Œuvres complètes réalisée au Éditions du Cerf en 2015 par son petit-fils Quentin Toury-Fesch (qui, à ma connaissance, et de même que le reste de la famille, ne s’associe pas à la démarche de Gérard).