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Michel Blanc, les moments de grâce de l’acteur “pas très beau”

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Henri Quantin - publié le 16/10/24
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Les scènes les plus réussies dans la carrière d’un acteur, décrypte l’écrivain Henri Quantin, sont celles qui laissent deviner la victoire d’un homme sur lui-même. C’est en ayant rendez-vous avec lui-même que l’acteur Michel Blanc nous offrit les meilleurs moments de grâce.

Michel Blanc n’était pas très beau. On ne tient pas là un scoop et la comédienne du Splendid qui confie qu’il donnait parfois l’impression de ne pas beaucoup s’aimer, notamment à cause de son physique, ne nous apprend pas grand-chose. L’intrigue de Grosse fatigue, dont il fut à la fois le réalisateur et les deux personnages principaux, repose en partie sur cette disgrâce. Patrick Olivier, son sosie de fiction, ne se prive pas de lui rappeler qu’avoir son corps sans sa carrière est un lourd handicap dans l’existence.

La victoire d’un homme

Il en va quelquefois de l’art de l’acteur comme de la vie spirituelle : certains se désolent sans fin de ce qui leur manque, d’autres font de leur faiblesse une force. Tel comédien à "physique abject mais bon fond" — pour parler comme Josiane Balasko à Gérard Jugnot dans Le père Noël est une ordure — rêve toute sa vie de jouer Dom Juan, sans comprendre qu’il pourrait être génial en Sganarelle. Dans cette perspective, les scènes les plus réussies d’une carrière sont souvent celles qui laissent deviner, par personnage interposé, la victoire d’un homme sur ce qui aurait pu le plonger dans le désarroi. 

Ainsi Louis de Funès, dans La Folie des grandeurs, demande à son valet Yves Montand de le flatter, s’entend répondre : "Monseigneur est beau" et se précipite torse nu devant un miroir pour évaluer l’ampleur du mensonge. De même, Djamel Debouzze parvient à tirer profit de son bras invalide dans Mission Cléopâtre, lorsqu’il fait mine d’en souffrir à cause d’une pierre catapultée par les Romains, avant de mettre fin, par une riante pirouette, à cette blessure aussi fictive à l’écran que réelle dans l’existence : "Non, je déconne."

Rendez-vous avec lui-même

Chez Michel Blanc, la meilleure scène de ce genre se trouve probablement dans Je vous trouve très beau. Rappelons que le film, réalisé par Isabelle Mergault, raconte l’histoire d’Aymé Pigrenet, un fermier soudain veuf, qui se résout à frapper à la porte d’une agence matrimoniale. Son critère de choix est simple, mais assez inattendu : il faut que sa nouvelle femme ait les qualités requises pour que la ferme continue à tourner. Mariage blanc probable, sans mauvais jeu de mots, mais c’est une autre affaire. Aymé se résigne à aller jusqu’en Roumanie pour chercher celle qui lui manque. Il voit alors défiler devant lui une série de jeunes Roumaines prêtes à tout pour quitter leur pays et comptant principalement sur leur corps de mannequin pour appâter le gogo français. Toutes concluent leur passage par la même phrase, supposée formule magique pour une nouvelle vie : "Je vous trouve très beau."

Agacé par ce "mécanique plaqué sur du vivant" — la définition du comique pour Bergson —, Aymé Pigrenet s’emporte : "Pourquoi elles disent que je suis beau ? Qu’est-ce qu’en j’en ai à faire qu’on me dise que je suis beau ou pas. Expliquez-lui qu'elle n'est pas obligée de dire ça. Expliquez-lui que je suis pas beau." Il est naturellement impossible de ne pas voir affleurer ici le comédien derrière son personnage. L’acteur joue pour devenir un autre, mais il finit toujours par avoir rendez-vous avec lui-même. C’est à cette condition que la disgrâce physique peut offrir paradoxalement un moment de grâce. Qui pourrait, sans le détour par la fiction, formuler cette émouvante supplique : "Expliquez-lui que je suis pas beau" ? La réussite de la scène est d’autant plus grande que la réplique est parfaitement intégrée à l’intrigue, sans recours à la facilité du "méta".

Le cri du cœur

La jeune Roumaine suivante, Elena, sort finalement du lot, précisément parce qu’elle est la seule à ne pas prononcer la formule apprise par cœur : "Je vous trouve très... — Très beau, ça je sais. — Beau ! Ah non, pas du tout !" Même si le mâle Aymé grommelle tout de même une protestation ("Faut pas exagérer quand même"), il ne peut être insensible à ce cri du cœur aux allures d’éloge paradoxal. Si le meilleur hommage à rendre à un acteur est de préférer ses scènes vivantes à ses portraits funèbres, c’est ce bref passage que nous garderons. Tant pis si le pâle visage de Michel Blanc paraît ici trop peu bronzé.

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