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École catholique, le pire est encore à venir

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Stanislas, prestigieux établissement privé sous contrat parisien.

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Paul Airiau - publié le 12/10/24
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Le mouvement paraît irrésistible : la pression de la lutte idéologique contre les discriminations pèse de plus en plus sur la sanctuarisation du « caractère propre » de l’enseignement catholique. L’historien Paul Airiau s’interroge : le pire est-il encore à venir ?

Il y eut Saint-Jean-de-Passy à Paris en 2020. Il y eut le Lycée Jean Paul II à Compiègne en 2023. Il y eut le Collège Stanislas à Paris en 2024. Il y a aussi désormais l’Immaculée-Conception à Pau, en 2024 encore. Quatre établissements privés catholiques sous contrat, quatre situations finalement comparables. Un chef d’établissement entendant assumer la dimension catholique de l’institution ; une partie du corps enseignant jugeant l’exercice de l’autorité harcelant, l’orientation catholique agressive et la liberté pédagogique atteinte ; une proportion souvent faible des élèves et des parents estimant discriminatoires des propos et des comportements ; une presse parfois militante servant de relais et de caisse de résonance aux mises en cause ; une administration de l’Éducation nationale intervenant après coup pour pointer des accommodements avec le cadre réglementaire ; une administration diocésaine de l’enseignement catholique diocésaine hésitant sur la position à prendre et une administration nationale de l’enseignement catholique cherchant jusqu’où la conciliation est possible. Tel est le tableau général, qui rend compte de ce qu’un certain nombre de catholiques ont compris comme des défaites et des atteintes à l’identité catholique — sanctions des chefs d’établissements, rappel aux respect règles, mise au ban médiatique.

Alignement des professeurs

Rien de tout ceci n’est véritablement étonnant, en ces temps qui sont les nôtres, au vu de la manière dont la société française s’est transformée depuis les années 1950 et dont cela a affecté l’enseignement catholique. En 1959, avec la loi Debré, l’enseignement catholique a peu ou prou négocié et obtenu une planche de salut. Sa logique — soit constituer des bastions éducatifs enracinés dans des chrétientés locales en exploitant, par l’appel à l’héroïsme et à la dévotion à l’institution Église, la ressource humaine qu’étaient des prêtres, religieux et religieuses en nombre encore suffisant, voire localement surabondant, et des enseignants obtenant une forme d’ascension sociale en échange d’une salaire étriqué — arrivait à bout de souffle. La volonté étatique de développer la scolarisation et d’augmenter le niveau de compétences des enseignants, attesté par la possession d’un diplôme, imposait une transformation interne que les ressources financières du système catholique ne permettaient pas de dégager. Le contrat simple ou d’association fut l’opportune solution, l’État prenant en charge les salaires en échange d’un alignement sur les programmes de l’Éducation nationale et d’un respect de la liberté de conscience.

Cette transformation de l’enseignement catholique en service public complémentaire, parallèle, ou annexe de celui de l’Éducation nationale, s’accomplit au moment où le catholicisme intransigeant, antimoderne, antilibéral, construit depuis le début du ⅩⅨe siècle, s’autodissout avec Vatican Ⅱ, mutant en une néo-intransigeance qui renonce à être coextensive à une société revendiquant sa sécularité tout en maintenant sa certitude qu’elle doit être sauvée. Une forme d’auto-sécularisation accompagne la désaffiliation religieuse accélérée de la société à partir des années 1960. Dans l’enseignement catholique, le corps enseignant voit se réduire rapidement la proportion de religieux, religieuses et prêtres, par redéploiement, départs volontaires, abandons multipliés et non renouvellement. Les recrutements nécessaires conduisent de facto à ce que les professeurs s’alignent, peu ou prou et plus ou moins rapidement, sur le reste de la société. Quant aux élèves, avec la logique du respect de la liberté de conscience, ils sont de moins en moins des enfants de catholiques intégrés et militants, mais de plus en plus ceux de parents soucieux du destin social de leur progéniture.

La sanctuarisation du « caractère propre »

Cependant, jusqu’au début des années 1980, et malgré la pression des militants laïques relayée notamment par un PS tout juste porté sur les fonts baptismaux, la puissance publique préserve l’originalité que revendiquent les instances de l’enseignement catholique. Le Conseil constitutionnel introduit en 1977 dans un de ses arrêts la notion de « caractère propre », en l’articulant à la liberté de l’enseignement comme principe constitutionnel, ce qui permet une forme de sanctuarisation de l’enseignement catholique. La jurisprudence justifie même le licenciement d’enseignants dont le mode de vie s’oppose objectivement à des points importants du magistère ecclésiastique, lorsque ces points sont constitutifs de leur contrat de travail (décision de l’assemblée plénière de la cour de Cassation au sujet d’une enseignante divorcée remariée, renvoyée pour ce motif, 19 mai 1978). Il faut attendre les années 2010 avec la banalisation du djihadisme terroriste pour que l’État entende contrôler plus strictement l’organisation et l’expression des convictions religieuses individuelles, collectives et institutionnelles, et fasse des principes républicains une forme de religion civile ou d’impératif catégorique avec la loi sur le « séparatisme » (2021).

La pression de la lutte contre les discriminations

La pression sur l’enseignement catholique est cependant antérieure. En effet, la dynamique égalitaire et le libéralisme culturel de la démocratie libérale des années 1980-1990 politisent à nouveaux frais les questions sexuelles. L’autonomie individuelle associée à l’abstention de catégorisation morale des comportements, du moment qu’ils ne portent pas atteinte à autrui, élargit le champ des discriminations aux questions de mœurs. L’égalisation morale des pratiques sexuelles suscite une politique volontaire de lutte contre les discriminations, dès lors objectif officiel de l’Éducation nationale. Le conflit avec le catholicisme néo-intransigeant post-Vatican Ⅱ, qui, avec Paul Ⅵ et Jean Paul Ⅱ, a fait des questions de morale sexuelle un des éléments centraux de sa définition, est inéluctable.

L’enseignement catholique se trouve ainsi en position de faiblesse. Contraint par le contrat d’association, il ne peut éluder la question des discriminations. Massivement peuplé d’enfants de familles dont l’appartenance catholique n’est pas le cœur de leur auto-compréhension, il ne peut plus compter sur la pression sociologique, puisque le nombre de pratiquants s’est effondré. Comptant surtout des enseignants largement sécularisés, il n’a plus de cohérence collective du point de vue de l’encadrement. Même, certains de ces enseignants syndiqués revendiquent une sécularisation interne, au nom du respect de la liberté de conscience, de la laïcité et de la non-discrimination. Ils articulent leur action aux administrations publiques, à des militants associatifs, à certains parents d’élèves, à des partis politiques et à des médias fonctionnant sur la révélation de scandales et d’atteintes à la liberté, à l’égalité et aux impératifs catégoriques d’une société sécularisée.

Bref, l’institution qui contribua largement à la préservation d’une forme de privilège catholique dans la société française des années 1960-2000 est désormais confrontée à des pressions lourdes. Et les logiques sociales de fond ne lui sont plus favorables. Pour l’école catholique, le pire n’est pas certain, mais il est vraisemblable.

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