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Anne de Jésus, la carmélite de feu qui ressemblait en tout à Thérèse d’Avila

Portrait d'Anne de Jésus, couvent San José d'Ávila / Thérèse d'Avila par Rubens

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Christiane Meres - publié le 28/09/24
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Sœur Anne de Jésus, née Ana de Lobera y Torres (1545-1621) est béatifiée par le pape François ce dimanche 29 septembre 2024 à Bruxelles ! Cette disciple de Thérèse d’Avila, fondatrice du Carmel en France et en Belgique, est apparue en songe à la petite Thérèse. Sa biographe, sœur Christiane Meres, prieure du carmel de Bruxelles, nous présente la vie aventureuse de cette carmélite de feu.

De Medina del Campo en Espagne où elle naquit le 25 novembre 1545 au carmel de Bruxelles où elle acheva sa longue route le 4 mars 1621, Anne de Jésus a voulu répondre à l’appel de Dieu, donner sa vie pour que Dieu soit servi du plus grand nombre. Carmélite du siècle d’or espagnol, très peu connue, et pourtant le bras droit de Thérèse d’Avila, qu’a-t-elle à nous dire aujourd’hui ? Trois aspects de sa vie itinérante nous révèlent quelque chose de son actualité : sa résilience, son "interculturalité", son engagement de femme libre.

Née sourde et muette

La vie d’Ana de Lobera commence sous de mauvais auspices : elle naît sourde-muette et perd son père sans l’avoir connu. Sa mère meurt quand elle a neuf ans. Guérie miraculeusement de son handicap par la Vierge Marie à l’âge de sept ans, elle désire se mettre tout entière au service de Dieu. Elle grandira en femme positionnée avec justesse au creux de cette vulnérabilité. L’Absolu habite son âme et elle se laisse conduire par Dieu. Elle ne tardera pas à rejoindre la famille du Carmel où elle jouera un grand rôle. Aux sept années de mutisme et de surdité au départ répondent, à la fin du parcours, sept ans de paralysie et de nombreux maux invalidants, jusqu’à redevenir incapable de parler. Résiliente au début de sa vie, Anne de Jésus le sera jusqu’à la fin, dans un corps qui la fit beaucoup souffrir.

L’itinéraire d’Anne de Jésus se lira en partie à la lumière de sa relation avec la fondatrice du Carmel en Espagne, la grande Thérèse de Jésus (1515-1582) et à travers son amitié profonde pour Jean de la Croix (1542-1591), qui lui dédiera son Cantique spirituel et qui affirmera qu’"elle ressemblait en tout à Thérèse, même esprit d’oraison, même manière d’agir, mêmes capacités, même genre de gouvernement". Malgré les pressions familiales pour se marier, Ana entre en 1569 au carmel Saint-Joseph d’Avila, première fondation de Thérèse de Jésus, qui ouvre une nouvelle voie pour vivre l’oraison et la fraternité dans la radicalité de l’Évangile. Commence alors une vie aventureuse qui mènera Anne de Jésus bien loin de son pays, pour l’amour du Christ. Thérèse comprend vite la valeur humaine et spirituelle d’Anne de Jésus et lui confie de grandes responsabilités : maîtresse de novices au carmel de Salamanque, prieure au carmel de Beas de Segura en 1575. Après la mort de la Madre, le 15 octobre 1582, Anne fonde les carmels de Grenade en 1582 et de Madrid en 1586. Elle ne cesse de défendre l’esprit thérésien contre vents et marées, tant à l’extérieur comme à l’intérieur du Carmel déchaux. 

Fondatrice en France

Un autre appel retentit dans le cœur d’Anne de Jésus, lorsque des autorités ecclésiastiques françaises quémandent quelques carmélites espagnoles pour introduire le Carmel en France. Cette aventure d’inculturation et de transmission de l’héritage thérésien dans d’autres pays et mentalités, Anne de Jésus l’a vécue bien avant que le mot n’existe. Cette interculturalité est aujourd’hui la réalité de nos familles, de nos communautés, de nos villes, de tous nos pays. Anne ose quitter l’Espagne pour la France, deux pays longtemps ennemis. Elle consent à vivre dans des communautés pluriculturelles et intercommunautaires, à les organiser et les animer selon la perspective thérésienne, ce qui constitue son unique raison de partir, de s’exiler et de mourir loin de sa patrie. 

Après un voyage aventureux, le groupe des six fondatrices espagnoles arrive à Paris le 15 octobre 1604. Le premier carmel de Paris, situé à Notre-Dame-des-Champs au Faubourg Saint-Jacques, est érigé le 18 octobre, puis ceux de Pontoise et de Dijon en 1606. Les jeunes femmes affluent nombreuses, mais l’inculturation reste difficile. L’ardente Espagnole qu’Anne reste jusqu’au bout des ongles, souffre du climat religieux et politique ainsi que de l’exil de sa patrie où elle désire ardemment retourner, une fois la présence de frères carmes en France garantie. En allant fonder à Dijon en 1606, la ville des Ducs, Anne de Jésus s’éloigne des litiges avec les trois supérieurs ecclésiastiques du Carmel français, Pierre de Bérulle, André Duval et Jacques Gallemant, qui ne respectent pas en tous points l’héritage thérésien. Une porte de sortie s’ouvrira avec la lettre de l’Infante Isabelle des Pays-Bas espagnols qui invite la prieure de Dijon à venir fonder un carmel à Bruxelles, dans cette partie de l’empire de Charles-Quint appelée les Flandres, toujours sous domination espagnole. 

Un nouveau tournant

La trajectoire de la vie d’Anne de Jésus prend alors un nouveau tournant et, une fois de plus, Dieu sera l’acteur principal des événements. Sept carmélites espagnoles et françaises quittent Paris et arrivent à Bruxelles fin janvier 1607. Le 25 janvier, le premier carmel des Pays-Bas espagnols est érigé. En novembre 1607, Anne de Jésus fonde le carmel de Louvain et en février 1608, celui de Mons, toujours à travers beaucoup de difficultés matérielles et relationnelles. 

Anne de Jésus fait preuve d’une réelle capacité d’action qui jalonne son itinéraire biographique. Cette capacité ne lui fait cependant jamais oublier sa mission de contemplation, ni d’être à l’écoute de Dieu au-delà des contraintes du quotidien. C’est une femme libre qui séduit nos sensibilités modernes. Sa liberté intérieure s’affirme en répondant à sa vocation de contemplative et à sa mission de fondatrice et en accomplissant l’une et l’autre jusqu’au bout. Elle s’engage en tant que femme pour d’autres femmes, carmélites comme elle, en se dévouant entièrement au développement et à la défense de l’héritage thérésien, tout en s’effaçant complètement. Sa vie est l’expression de ce don qui reste au-delà des mots. Anne de Jésus, aujourd’hui, nous enseigne ce que le pape François appelle le "bon combat de la rencontre".

Pratique :

Anne de Jésus, l'essor du Carmel thérésien, sœur Christiane Meres,  Éditions du Carmel, 2024, 188 pages, 23 euros.
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