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Jeanne, la Pucelle insaisissable

Louis Daufresne - publié le 23/09/24
Le directeur artistique des Jeux olympiques de Paris 2024 assume ses provocations idéologiques en s’en prenant à Jeanne d’Arc, dont il veut faire une héroïne de ses causes militantes. Pour notre chroniqueur Louis Daufresne, si le mystère de l’irruption de la Pucelle d’Orléans dans l’Histoire fait tant fantasmer, sa virginité pour Dieu reste insaisissable.

Après Marie-Antoinette, décapitée une seconde fois le 26 juillet à la télévision, c’est Jeanne d’Arc qui se prend un raccourci. Thomas Jolly, directeur artistique de Paris 2024, se demande dans Le Monde si l’héroïne n’était pas "une des plus grandes travesties de notre histoire". "N’a-t-elle pas été condamnée parce qu’elle était vêtue en homme ? Notre culture est faite de cette fluidité de genres", argue-il. Anachronisme ? Révisionnisme ? À ma connaissance, Jeanne d’Arc ne portait aucune cause dont peut se prévaloir Thomas Jolly et consorts. D’ailleurs, si "La Pucelle" avait été à la fois un martyr et un pionnier des "valeurs" que la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (JO) a promues, il l’aurait sans doute choisie parmi les dix femmes militantes dont les statues composèrent le tableau "sororité".

Des habits d’homme

L’acte d’accusation contre Jeanne d’Arc dit qu’elle a abandonné "toute décence et convenance de son sexe, usurpant impudemment un habit difforme et l’état d’homme d’armes". Si elle assume ce travestissement, c’est qu’elle évolue dans un monde de soldats. La raison est, dit-elle, "qu’ils n’aient pas concupiscence charnelle de moi". Bon et puis on voit mal un chef de guerre chevaucher sous l’apparence d’une femme.

L’évêque Cauchon le sait mais, pour la faire mourir, il prendra prétexte du Deutéronome (Dt 22, 5), texte biblique selon lequel "une femme ne prendra point un habit d’homme, et un homme ne prendra point un habit de femme ; car celui qui le fait est abominable devant Dieu". Le clerc perfide, en préférant la lettre, en tuera l’esprit. Dans un dossier fouillé sur le sujet, le très sérieux site stejeannedarc.net cite les travaux de référence de l’historien Adrien Harmand selon lequel "ce qui importe à Dieu n’est pas le “dehors” du vêtement masculin mais le “dedans”, c’est-à-dire le dessein bon ou mauvais qui le fait prendre". Jeanne d’Arc dira à son procès "qu’elle aimait mieux mourir que de quitter cet habit sans le commandement de Dieu". Tout est dans la fin de la phrase. Puisque Dieu prime sur tout, je me résous à ce qui ordonne ma relation à Lui.

L’insaisissable transgression

Si le "dehors" révèle le "dedans", l’inverse est aussi vrai, en l’espèce. La transgression johannique s’enracine dans les vertus de prudence et d’obéissance. Son habit d’homme la couvre d’une armure qui est aussi symbolique : son corps en devient à la fois disponible au combat et inaccessible aux tentations. 

Jeanne d’Arc n’est pas seulement le personnage médiéval le plus "déshabillé" par les historiens de tout poil. Sa dimension iconique se déploie dans des imaginaires multiples, en raison du mystère que recèle son irruption dans l’Histoire. De quoi cette fulgurance humaine est-elle le nom ? Qui était cette amazone des bords de Loire sortie de son trou vosgien en pleine guerre de Cent ans ? Par quel génie a-t-elle pu se frayer un chemin jusqu’au roi ? Était-elle une sainte, une sorcière, une voyante, une hérétique, une fanatique, une proto-féministe, une révolutionnaire ? Son courage et sa franchise trancheraient avec le statut ambigu de sa personne. Dans quelle case la mettre ? "La Pucelle" ne serait-elle pas lesbienne ? s’interrogent certains. Jeanne serait insaisissable. Ses vêtements brouillant les repères, Thomas Jolly est prompt à y voir une forme de "fluidité". 

La virginité, c’est compliqué

L’activiste trans Leslie Feinberg, auteur de Transgender Warriors (1996), pointe l’inamovible refus de la sainte de quitter son apparence masculine. Il faudrait l’interpréter comme un affichage identitaire. L’historienne britannique Marina Warner en fait une figure androgyne : usurpant la fonction d’un homme, « elle secouait complètement les entraves de son sexe pour occuper un troisième ordre différent, ni masculin ni féminin », affirme-t-elle.

Faire de Jeanne d’Arc une égérie queer est délirant. Mais "La Pucelle" fait fantasmer dans une société aussi érotisée que la nôtre. Reste un point ultime, fort dérangeant : savoir que sa mission sacrée réside dans sa virginité, c’est dire que Dieu a quelque chose à voir avec le sexe. Et là, c’est — comment dire ? — compliqué.

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