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De certains confesseurs étrangers à la miséricorde divine comme à la charité, le père Lamy a dit qu’ils "envoient les âmes à la boucherie". Il faut avoir eu la malchance de tomber sur l’espèce pour mesurer les dégâts qui en résultent. Mais, Dieu sachant tirer un bien d’un mal, il arrive que ces mauvais bergers travaillent malgré tout dans l’intérêt des âmes. En voici la preuve.
Un nabot malicieux
Astelnuovo di Cottaro en Dalmatie, aujourd’hui Herceg Novi au Monténégro, en 1874. Ce jour-là, Bogdan Mandic, garçonnet de huit ans, est venu se confesser, bien qu’il soit trop jeune pour faire sa première communion. Ce tout petit garçon, qui n’atteindra jamais une taille d’adulte, ne dépassant pas 1,35 mètre, est un nabot aux yeux du monde mais il n’a peur de rien et ce caractère déterminé le rend audacieux, un peu malicieux même. Sans doute est-ce une espièglerie sans malice qu’il est venu confesser mais le curé est d’humeur grondeuse et, de cette peccadille enfantine, il fait un péché quasi impardonnable et, indifférent au repentir sincère de l’enfant, lui impose pour pénitence de rester à genoux dans la nef, bras en croix, exposé aux regards des fidèles. Obéissant, Bogdan accepte ce châtiment disproportionné mais, humilié, malheureux, songe que, s’il devenait prêtre, "il ne traiterait les pénitents qu’avec bonté et miséricorde".
Son rêve est de réparer la tunique sans couture de l’Église déchirée par les querelles entre Orient et Occident.
Au vrai, si, à cet âge tendre, il songe déjà au sacerdoce, ce n’est pas au confessionnal qu’il s’imagine mais en missionnaire. Né dans un port cosmopolite de l’Adriatique, ce petit Croate catholique souffre de voir tant d’Orientaux ne pas connaître le Christ, tant d’orthodoxes demeurer coupés de Rome. Son rêve est de réparer la tunique sans couture de l’Église déchirée par les querelles entre Orient et Occident. Il s’est promis de vouer sa vie à cette mission.
Le secret de Léopold
En 1882, il entre chez les capucins, prend l’habit à Bassano del Grappa en 1884, et en religion le nom de Léopold. Ordonné prêtre en 1890, il est nommé en 1897 supérieur du couvent de Zara où il pense, lui qui a tant étudié dans ce but, s’ingéniant à apprendre le grec, le slovène, le serbe, le russe, les langues orientales, entamer la mission dont il se pense investi mais rien ne va comme il l’espère. Certes, il fait du bien à Zara, donne à beaucoup de gens de passage une vision positive du catholicisme mais le départ en mission ne viendra jamais et c’est en Italie que ses supérieurs l’expédient. Lui ont-ils dit que sa toute petite taille et sa santé fragile le rendaient inapte à la tâche ambitionnée, pis encore, qu’un incurable défaut de prononciation lui interdit la prédication ? Non, de sorte que Léopold, affecté au couvent de Padoue, attend inlassablement un ordre de départ qui ne viendra jamais.
En patientant, il se voue à la mission qui lui a été confiée : confesseur. À l’instar du curé d’Ars ou du Padre Pio, il passe jusqu’à quinze heures par jour au confessionnal, qu’il y étouffe ou qu’il y gèle, disponible, patient, attentif, bienveillant, n’accablant personne, de sorte que certains le trouvent trop indulgent. C’est qu’ils ignorent le secret de Léopold : soulevé secrètement d’horreur devant l’offense que le péché inflige à Dieu mais pour ne pas épouvanter les âmes qui viennent à lui en les accablant, il a obtenu du Ciel de prendre sur lui seul la peine due par ses pénitents. Les macérations, flagellations, jeûnes, privations, pénitences, il se les inflige sans pitié : pour le salut des autres. Tous ceux qui se confessent à père Léopold, intellectuels ou ouvriers, riches ou pauvres, princes ou mendiants, sortent de son confessionnal bouleversés, certains d’avoir eu le Christ en face d’eux, non ce chétif petit capucin qui, pour ne pas perdre de temps, a installé son confessionnal dans sa cellule et y dort… Prêtres, séminaristes se pressent chez lui, pour découvrir les grâces du sacrement de réconciliation. Parmi ses dirigés, un certain abbé Luciani, qui deviendra le pape Jean-Paul Ier .
Le choc est violent
Est-ce l’un de ces prêtres qui, au sortir du confessionnal lui dit un jour, dans les années trente : "Mon Père, Jésus vient de me confier un message pour vous de sa part. Je dois vous dire que votre Orient à vous est ici, dans chacune des âmes que vous assistez dans la confession." Pour Léopold, accroché à son rêve, le choc est violent mais il s’abandonne à la volonté divine, fait le sacrifice de cette mission œcuménique qu’il croyait lui être destinée. Il accepte d’offrir toutes ses souffrances, ses déceptions, pour que d’autres y œuvrent à sa place, sur le terrain qu’il ne connaîtra pas. Cette abnégation lui mérite de nouveaux fruits de grâces, une association plus intime aux souffrances du Crucifié, un don de prophétie qui lui permet d’annoncer la Seconde Guerre mondiale, les maux qui frapperont l’Italie, "prise dans un déluge de feu et de sang", la destruction de son couvent.
Usé par les privations, il tombe malade. On diagnostique un cancer de l’estomac métastasé à l’œsophage. Indifférent à ses propres maux, il retourne à son confessionnal, martyr du pardon et de la réconciliation, assénant à ceux qui, le voyant mourant, voudraient le voir se reposer : "Un prêtre n’a le droit de mourir que de l’excès de ses fatigues apostoliques. Sur la brèche !" Ce que fait le vaillant petit soldat de Dieu. Le 29 juillet 1942, après avoir confessé toute la journée, il s’écroule au pied de l’autel où il vient de célébrer sa messe ; il s’éteint le lendemain, en chantant le Salve Regina, après avoir traité jusqu’au bout sa maladie par le mépris, plus soucieux du salut des âmes que de celui des corps.