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Ce relativisme effrayant qui désigne le Juif comme cause de nos problèmes

Un père et son fils lors d'une manifestation contre l'antisémitisme à Marseille, le 5 janvier 2020.

Benoist de Sinety - publié le 15/07/24
Qu’a-t-il dans le cœur et dans l’esprit ce jeune garçon qui porte un symbole terroriste par provocation ? Le père Benoist de Sinety, curé-doyen de la ville de Lille, s’interroge sur les raisons qui poussent des jeunes à glisser dans la banalisation de l’antisémitisme.

À toi, le jeune homme souriant croisé l’autre soir dans le métro de Lille... Je rentrais d’un dîner chez un curé ami et voisin. Tu étais avec une bande de copains, un peu morose des résultats du match. Voir les Bleus éliminés, même si cela semblait assez logique, n’est jamais très amusant. Tu discutais, en me tournant le dos. De ta tête je ne voyais rien puisque tu avais choisi de la recouvrir d’un keffieh. Manifestement, ce keffieh, tu en étais aussi fier qu’il t’était étranger. Tu ne cessais de l’enlever et de le remettre, maladroitement, sans que jamais il ne cesse de glisser de tes cheveux jusqu’à ton cou. Il faut dire que ce soir-là, il faisait lourd dans le ciel et dans le tunnel de ce métro où une foule jeune et heureuse commentait les buts encaissés et l’indigence de notre défense.

La provocation de celui qui se sent immortel

En regardant ce foulard brandi par toi comme un symbole, je fus pris d’une profonde émotion. Comment en sommes-nous arrivés-là ? Par quelle indigence de l’esprit ? Dans le reflet de la vitre, je regardais ton visage avec tristesse et compassion et — signe de maturité ? — avec tendresse. Sur tes joues, les couleurs de la France, dans tes yeux, la provocation de celui qui se sent immortel du haut de ses 16 ou peut-être 18 ans. Sur ta tête, un symbole guerrier. Autour de nous, rien ne semble anormal. Personne ne te regarde, ou ne semble prêter attention au signe que tu arbores d’un air bravache et rigolard. Seule la maladresse à t’en revêtir pourrait porter à sourire.

En descendant au même arrêt nous nous retrouvons quelques instants, côte à côte, dans l’escalier mécanique. Tes copains sont quelques marches devant. Je te dis avec tout le calme dont je me sens capable : "Tu sais ce que ça signifie ce keffieh ?" Tu me dévisages, assez surpris que ta provocation puisse trouver preneur, et tu réponds : "Et alors, vous êtes Juif ?" Puis, d’un pas, tu rejoins tes amis : vous me regarderez m’éloigner en commentant sans doute et en riant de moi. 

Une question oppressante

Je laisse depuis ta question résonner en mon cœur. Elle m’oppresse et me juge de ne pas avoir répondu "oui" et d’être resté silencieux, en te regardant t’éloigner. Tu es sans doute d’une "bonne famille" comme on le dit sans trop réfléchir. Comme s’il y en avait des mauvaises du seul fait de leur niveau de fortune ou de leur milieu social. Un jeune homme du Nord, scolarisé dans un lycée catholique probablement. En tout cas tu en as les signes de reconnaissance : vêtements, look, et ton aisance à vivre.

Comment est-il possible que se distille dans le crâne de la jeunesse de notre pays des inepties aussi mortifères qui font confondre le combat contre l’injustice et la promotion du terrorisme ? Quel relâchement moral de nos élites et quelle démission collective devant le mensonge érigé en programme...

Du fatalisme au bouc émissaire

Depuis l’attentat de la rue Copernic et l’aveu freudien du Premier ministre d’alors ("Cet attentat odieux qui voulait frapper des israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue"), jusqu’à l’attaque terroriste de l’Hypercasher, on ne peut que constater que les crimes commis contre les Juifs, s’ils frappent l’opinion, ne le mobilisent pas. Une école juive mitraillée à Toulouse ? L’horreur. Mais, en même temps, pas le dixième de la mobilisation qu’il y aurait eu si cette école avait été publique ou catholique. Non qu’il y ait d’hostilité particulière mais plutôt une forme de fatalisme : "Avec les Juifs, c’est ainsi... on ne peut rien changer... c’est triste mais que voulez-vous ?" Et nous voici, maintenant, passés du fatalisme à la désignation du bouc émissaire, une nouvelle fois.

Le keffieh est une parure de guerre, elle est la marque de ceux qui commanditèrent sur notre sol bien des attentats dans lesquels périrent des "Français innocents".

La nouveauté c’est que certains, par pur cynisme, ont fait entrer une partie de la jeunesse, et notamment celle des classes moyennes et aisées, dans un relativisme effrayant qui mène à désigner le Juif comme cause de nos problèmes. Car le keffieh est une parure de guerre, elle est la marque de ceux qui commanditèrent sur notre sol bien des attentats dans lesquels périrent des "Français innocents". Il est la marque de ceux qui ont détournés des avions, pris en otages des athlètes, massacrés des enfants et des femmes pour le seul fait de leur appartenance au Peuple de l’Alliance. Et cela n’a rien à voir avec la spirale d’horreur dans laquelle Benyamin Netanyahou entraîne son peuple. Et cela n’a rien à voir avec la justice et la vérité. 

Ce que tu es aujourd’hui

Toi, jeune homme de l’autre soir, ne donne pas l’impression, par souci de mode et de branchitude, que tu soutiens ceux qui tuent et qui oppressent leur peuple. Ne justifie pas, dans la mollesse du conformisme, ceux qui cherchent à détruire. Lis, étudie, réfléchis, ouvre ton intelligence et ta conscience ailleurs que sur les réseaux sociaux ! Découvre Simone Weil, nourris-toi de Ricœur, laisse chanter en ton âme les vers de Baudelaire ou de Rimbaud... et puis ouvre l’Évangile, arrête-toi sur les psaumes pour comprendre que ce que tu es aujourd’hui s’enracine dans une foi, dans un peuple. Pour te réjouir de lui appartenir, plutôt que d’être un clone auquel on fait porter les oripeaux d’un combat délétère.

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