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Les hommes ont-ils la vie qu’ils méritent ?

Le prophète Job tenté par le diable

Jean-Michel Castaing - publié le 07/07/24
Combien de malfaisants mènent des vies paisibles tandis que des femmes et des hommes qui sacrifient leurs vies pour les autres, endurent une existence misérable ! Que dit la foi chrétienne sur ce sujet ?

Au début de son étude sur Baudelaire (1947), Jean-Paul Sartre se demandait : « Est-il si différent de l’existence qu’il a menée ? Et s’il avait mérité sa vie ? Si, au contraire des idées reçues, les hommes n’avaient jamais que la vie qu’ils méritent ? » Au-delà du cas particulier de Baudelaire, les hommes ont-ils vraiment la vie qu’ils méritent ? En fait, la question de Sartre est sous-tendue par l’interrogation de savoir si nous avons toujours la possibilité de choisir, non pas tant notre existence proprement dite, mais du moins l’orientation morale qu’on désire lui donner.

Si les hommes sont libres, non de naître pauvres ou riches, avec des prédispositions intellectuelles supérieures à la normales ou non, mais d’opter pour la voie du bien ou celle du mal, alors ils sont en mesure de mériter, c’est-à-dire d’être jugés dignes d’honneur, de considération ou d’obtenir certains droits. Cependant, même en admettant que cette liberté existe, cela ne tranche pas la question initiale : le mérite est-il toujours récompensé dans cette existence ? Si c’est le cas, alors nous avons la vie que nous méritons. Mais est-ce toujours le cas ? Combien de malfaisants mènent des vies paisibles tandis que des femmes et des hommes qui sacrifient leurs vies pour les autres, endurent une existence misérable ! Que dit la foi chrétienne sur ce sujet ? 

Le mal reste un mystère

Dans la Bible, le livre de Job révèle qu’il n’existe pas forcément une correspondance automatique entre une vie droite, vertueuse et la récompense d’une vie heureuse. Job menait une existence irréprochable. Or cela n’a pas empêché tous les malheurs de fondre sur lui ! Dans le même ordre d’idée, les disciples de Jésus lui demandèrent, un jour qu’ils croisaient un aveugle-né, qui, de cet aveugle-né ou de ses parents, avait  péché pour qu’il soit atteint de cette terrible infirmité, laissant entendre par leur question qu’il avait "la vie qu’il méritait".

La grâce des grâces, dans une existence d’homme, consiste à avoir la foi et à vivre d’espérance et de charité.

À cette question, Jésus répondit (Jn 9, 1-3) : "Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est pour qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu." Comme si Jésus bottait en touche… Dieu, dans le livre de Job, répondra de façon similaire et dilatoire. Aux interrogations de Job sur le pourquoi du mal qui le ravage, le Tout-Puissant n’apportera pas de réponse à l’énigme du mal mais lèvera le voile sur la beauté de sa Création (chapitres 38 à 41 du livre) avec une éloquence stupéfiante. Que penser de ces réponses décalées ? En fait, les réponses de Dieu et de Jésus, ou plutôt leurs non-réponses, ne font qu’épaissir le mystère en ne livrant pas le secret de la présence et du scandale du mal dans le monde.

Face au mal, le mystère de la Providence divine

Dans ces conditions, sommes-nous condamnés à laisser la question de Sartre sans réponse ? Il importe tout de même de l’approfondir, tant la présence du mal représente souvent une objection puissante à l’existence de Dieu. Si aucune correspondance ne peut être établie ici-bas entre mérite et récompense, c’est tout l’édifice du monde qui chancelle. Dans cette perspective, essayons de montrer ce qu’implique une réponse affirmative à la question de la correspondance entre mérite et existence heureuse pour un chrétien. Admettons que celui-ci affirme : "J’ai la vie que je mérite." Qu’est-ce qui l’autorise à poser pareille affirmation ? N’est-ce pas la foi en la Providence divine ? Il sait que Dieu l’accompagne tous les jours de sa vie. Dans ces conditions,  pourquoi les malheurs fondent-ils sur lui tandis qu’il tente de se comporter le mieux possible avec son prochain, en remplissant tous les devoirs de son état et en rendant à Dieu la justice qui lui est due ? Le cours de son existence semée d’embûches ne contredit-il pas sa profession  de foi ?

La foi fait le lien entre mérite et récompense

En fait, si le croyant répond affirmativement à la réponse que nous nous posons, c’est qu’il a intégré cette vérité fondamentale : la grâce des grâces, dans une existence d’homme, consiste à avoir la foi et à vivre d’espérance et de charité. Vivant des trois vertus théologales, le croyant ne se plaint plus des tuiles qui lui tombent sur la tête parce qu’il pense qu’elles lui sont envoyées pour éprouver son amour et l’endurance de son espérance. Aussi estime-t-il qu’il a la vie qu’il mérite. Car, au fond de lui, il sait qu’il ne mérite rien, à proprement parler, puisque "tout est grâce". Il ne s’interroge pas outre mesure pour savoir si son existence est récompensée à la hauteur de sa foi puisque Dieu ne lui doit rien. C’est lui, au contraire, qui doit tout à son Créateur et Sauveur. Et comme tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, même les tuiles, notre croyant pense avoir  la vie que Dieu estime qu’il mérite pour arriver au port de l’éternelle patrie. Dans l’évangile de Jean, Jésus ne proclame qu’une seule béatitude : "Heureux ceux qui croiront sans avoir vu" (Jn 20, 29). Avoir la foi : voilà un mérite qui nous vaut de mener une existence en adéquation avec ce mérite puisque la foi constitue déjà une source de joie pour nous et donc représente une récompense dès ici-bas ! 

Garder intact notre sentiment de révolte face au mal

Mais cette réponse satisfera-t-elle les hommes qui n’ont pas la foi ? C’est peu probable. Eux sont révoltés par les injustices qui touchent les enfants éprouvés par des maux qu’ils n’ont pas mérités. Et leurs réactions sont saines. Car elles réveillent la conscience parfois assoupie des croyants face au scandale du mal en fouettant leur détermination à combattre pour la justice afin que les « œuvres de Dieu soient manifestées », ainsi que le disait Jésus à ses disciples devant l’aveugle-né. Croire à la Providence, ce n’est pas fermer les yeux devant les situations moralement inacceptables. 

Croire à la Providence, ce n’est pas fermer les yeux devant les situations moralement inacceptables. 

Certes, savoir que Dieu gouverne le monde constitue une grande consolation. Toutefois, la foi en la Providence ne doit pas nous détourner de notre travail pour répandre la justice dans le monde et servir de prétexte pour se laver les mains devant le règne du mal. Si Dieu est juste, alors travailler de concert avec Lui implique que nous nous impliquions dans la lutte pour la justice. De la sorte, les innocents auront davantage de chances de mener l’existence qu’ils méritent. Et, par contrecoup, les justes recevront dès maintenant la joie qui s’attache à travailler à la manifestation des œuvres de Dieu.  

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