Avril transforme le paysage à toute vitesse. De ma fenêtre, d’une heure à l’autre je vois les bois changer de couleur et l’étagement des champs gagner en profondeur. Le brun devient vert et le vert tourne au bleu. Le relief se construit. Les collines bondissent. Le monde s’agrandit. Les milliards de feuilles pourries nourrissent les milliards de feuilles nouvelles. Comme la source du Temple d’Ézéchiel, l’eau qui nourrit les forêts — il n’arrête guère de pleuvoir depuis le début de la semaine — devient ruisseau, torrent, fleuve infranchissable ; mais ce fleuve est fait de branches et de fleurs. Et quand le soleil revient, car il ne tarde jamais à se montrer en ce temps de giboulées, il découvre un monde inconnu et éblouissant.
Ce tableau de paradis
Toutes nos vies sont récapitulées dans ce tableau de paradis en construction et tous nos combats le sont dans le carreau de la fenêtre où un premier bourdon, entré je ne sais comment dans mon bureau, se cogne inlassablement avant de s’évader dans l’azur quand je me décide à lui ouvrir.
Dans la magie du printemps, il n’est plus temps de vivre dans l’obsession du péché, mais de se risquer dans la vérité de l’amour.
Pendant que le bourdon s’échappe et disparaît, emportant avec lui son bourdonnement, je pense à une phrase de Léon Bloy que Jacques Maritain mentionne dans son premier journal, celui des temps qui précèdent sa conversion : "Il n’y a pas un seul pécheur en enfer, car Jésus aime les pécheurs. En enfer, il n’y a que des méchants" (je cite de mémoire). Cher Léon Bloy, je ne connais pas de vérité plus réconfortante que celle-là !
La seule vraie tristesse
Dans la magie du printemps, il n’est plus temps de vivre dans l’obsession du péché, mais de se risquer dans la vérité de l’amour. La méchanceté est l’hiver du monde. Les péchés sont des feuilles mortes dont se nourrit l’humus de la rédemption. La seule vraie tristesse n’est pas d’être pécheur, c’est d’être méchant.
Mais aucun de nous ne s’avoue méchant. Fier, distrait, maladroit, d’accord. Mais jaloux, lâche, méchant, jamais ! Apercevoir pour un instant la réalité de notre méchanceté, voilà qui pourrait nous en libérer, quand le soleil d’avril nous inonde. Le méchant qui voit sa méchanceté en face redevient un pauvre pécheur.