La philosophe Simone Weil voyait dans le déracinement un des pires maux de son siècle, et probablement un des pires maux de l’Histoire. "L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine", affirmait-elle. Que signifie le fait d’avoir des racines ? "Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir." Il est vrai que toute collectivité s’enrichit de l’apport des cultures différentes avec lesquelles elle entre en contact. En revanche lorsque cette collectivité n’est plus en contact avec son histoire et les valeurs qui l’ont portée, alors elle devient elle-même totalement incapable d’intégrer les influences nouvelles : elle s’y soumet et se perd.
Les dégâts collatéraux des séjours à l’étranger
Cette réflexion est une aide au discernement. La génération des 18-25 ans qui a la chance de poursuivre des études supérieures vit comme une évidence les propositions de séjours, stages et échanges à l’étranger intégrées dans leurs cursus. Il s’agit souvent de partir pour six mois, un an, parfois à plusieurs reprises. On valorise alors beaucoup l’ouverture culturelle, l’enrichissement du CV, la pratique d’une langue étrangère. Mais on passe aussi sous silence tous les dégâts collatéraux de ces expatriations.
Nos racines sont au Ciel mais aussi sur la terre.
Il est difficile de conserver des attachements amicaux et amoureux lorsqu’on sait qu’on va partir, et lorsqu’on vit loin les uns des autres pendant des mois. Il est difficile de s’engager de façon "réelle et active" dans une communauté lorsqu’on ne passe que quelques mois dans un pays : le temps de découvrir l’environnement, la langue, les gens, voilà qu’il est déjà temps de remonter dans son avion. Mais ce qui est davantage préoccupant, c’est l’effet d’arrachement progressif que peuvent produire ces longs séjours répétés, par rapport à leur enracinement d’origine. Difficile de prendre un engagement de scoutisme, de participation à des maraudes, de l’évangélisation, si on n’est disponible que de septembre à novembre, et de mars à juin…
S’enraciner dans une communauté
C’est pourquoi l’insertion dans des communautés où se fait l’expérience de la vie chrétienne est un tel enjeu pour ceux qui rentrent dans la vie étudiante. Souvent ils décrochent, et vivent isolément leur foi. On dit souvent qu’un chrétien isolé est un chrétien en danger. Prenons conscience de la perte de participation de nos jeunes à une communauté chrétienne est la définition même du déracinement. Il est intéressant de voir que dans la deuxième partie de son œuvre la philosophe prend soin de souligner l’intérêt des voyages, comme moyen de comparer et d’intégrer les valeurs qui sont les nôtres. Mais un voyage n’est pas un déracinement : que les jeunes continuent d’aimer les voyages, et gardent la conviction que leur avenir se construira sur leur capacité à rejoindre partout où ils sont les communautés qui partagent avec eux le trésor de la foi : nos racines sont au Ciel mais aussi sur la terre.