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L’avortement “irréversible”, vraiment ?

Manifestation pro-avortement en réaction à la décision de la Cour suprême américaine de suspendra l'arrêt Roe vs Wade, 26 juin 2022, Paris.

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Louis Daufresne - publié le 20/11/23
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Après la légalisation de la PMA, l’extension du délai pour une IVG à quatorze semaines et avant le suicide assisté, le président Emmanuel Macron veut rendre "irréversible" la liberté d’avorter. Juger quelque chose irréversible, c’est vouloir propulser la société dans un avenir auquel on lui intime de se résigner, estime le journaliste Louis Daufresne.

Irréversible, rien que ça ! "En 2024, la liberté des femmes de recourir à l’IVG sera irréversible", tweetait Emmanuel Macron fin octobre, en plein chaos proche-oriental et juste après l’égorgement d’Arras. L’adjectif a quelque chose d’effrayant, avec son côté définitif et obstiné. Il exprime une sorte de retour du tragique. On se dirait en 14. Ce mot nous place face au destin. On l’entend et on l’attend sur le terrain de l’apocalypse écologique, des espèces menacées d’extinction. On voudrait conjurer les atteintes irréversibles que porte à la biodiversité un productivisme stupide et brutal. 

Un empressement ridicule

Mais non. Voilà que l’adjectif tonitruant est associé à l’avortement dont on sait que nul parti politique représenté à l’Assemblée n’envisage de contester le droit. L’IVG n’est plus un sujet pour personne, sauf pour certains curés et une partie de leurs ouailles crypto-fascisantes*. L’emphase jupitérienne, son caractère tranchant sur un tel sujet, a donc quelque chose de singulier. On argue qu’il faudrait protéger l’IVG de ce qui s’est passé aux États-Unis. Il faudrait sonner le clairon et lever la herse, comme si la Cour suprême allait catapulter sur la stèle de nos lois un gros boulet trumpiste. Convenons que pareil empressement est ridicule, que nulle menace ne le justifie. 

Il y a une sorte d’attachement fondamental du pouvoir avec le droit de vie ou de mort. La sentence atomique en termes militaires, l’avortement et l’euthanasie en matière de mœurs.

D’autant qu’à l’ère du jetable, plus rien n’est irréversible. Confondre le marbre d’une Constitution avec le béton d’un blockhaus est simplet, quand tout se liquéfie dans les têtes et même dans les corps. Tous les idéaux surplombants, de la patrie au mariage, dépérissent, l’engagement à les honorer étant jugé irréversible. Le sexe lui-même n’est plus frappé d’immuabilité biologique. Le concept émergent de transition rend mentalement caduque l’irréversibilité à laquelle la nature nous condamne. L’identité, naguère figée dans l’arbre généalogique, se met à fluctuer au gré de parentalités choisies, de la pression que le marché exerce sur nos désirs.

Le droit de vie et de mort

Bref, si plus rien n’est irréversible, pourquoi employer ce mot ? C’est que, malgré tout, les décisions les plus capitales obéissent à des invariants. Il en va de l’IVG comme de l’arme nucléaire. Quel que soit le locataire de l’Élysée, on se passe le code et on sait que le sanctuaire sera gardé, veillé, protégé, bichonné, hors d’atteinte des velléités. Cela rassure, évidemment. Il y a une sorte d’attachement fondamental du pouvoir avec le droit de vie ou de mort. La sentence atomique en termes militaires, l’avortement et l’euthanasie en matière de mœurs. Dans les deux cas, on est en présence d’armes de destruction massive dont l’usage est doté d’effets irréversibles. Il s’agit toujours d’anticiper l’issue fatale. Sanctuariser l’IVG ou légaliser l’euthanasie fait croire que la vie, cette puissance anarchique, est maîtrisable par la volonté. Cette croyance, même inconsciemment, renforce l’adhésion du peuple à un système dont il perçoit ainsi la puissance. Mais pourquoi donc le début et la fin de la vie dépendrait-il du prince ? De quel droit s’adjugerait-il de faire advenir la mort, de régenter le destin ? N’est-ce pas une manière de me posséder ? 

Juger quelque chose irréversible, c’est vouloir propulser la société dans un avenir auquel on lui intime de se résigner. Ce moyen de la faire communier artificiellement à un corpus était le propre de la rhétorique communiste, où le sens de l’histoire, forcément irréversible, devait conduire mécaniquement le troupeau dans la prairie du bonheur, lequel se révéla empli de ses illusions.

Enrober le poison 

On m’objectera que c’est "la liberté des femmes" qu’Emmanuel Macron aspire à rendre irréversible, et non l’IVG en tant que tel. Qu’il me soit permis de juger l’assertion un rien hypocrite. Qualifier l’avortement d’irréversible eût été trop brutal, surtout venant d’un homme. C’est pourtant la philosophie de cette déclaration. On se sert des femmes pour enrober le poison qu’on les invite à prendre soi-disant librement.

* Cette formulation a suscité plusieurs réactions de lecteurs. Elle engage son auteur. La rédaction la maintient car elle souligne selon elle avec ironie les caricatures qui sont généralement faites pour évoquer le mouvement pro-vie.

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