À la découverte des premières images du mobilier retenu pour Notre-Dame de Paris, un soir d’été, mon cœur a plongé dans un immédiat hiver. Je suis tout à fait certaine cependant que personne n’agit à la légère : ni l’artiste ni les décideurs. Après avoir soulevé des observations techniques objectives, je voudrais attirer l’attention sur plusieurs dimensions qui sont encore en travail pour cette création qui est l’image de l’église au XXIe siècle. Rien de moins. Mon avis est un avis d’artiste et de fidèle, les deux étant indémaillables dans ma vie.
J’invite à garder élégance et raison sur ce sujet. L’insulte balafre autant l’âme de celui qui la reçoit que de celui qui la profère. La colère ne sait élever des cathédrales. Qui sont, il n’est pas l’heure de l’oublier, des lieux de paix. Dans ce projet je suis tout à fait certaine que personne n’agit à la légère : ni l’artiste ni les décideurs. Mais voici ce qui me trouble.
Un mobilier mutique, à l’équilibre instable
L’enjeu est un mobilier liturgique. Pas un mobilier. La différence est que là où le mobilier est question d’usage et de forme, le mobilier liturgique est d’usage et de signification. L’absence totale de signe sur l’autel est problématique, particulièrement pour Notre-Dame. La cathédrale est visitée par des millions de personnes des quatre coins du monde. Bon nombre ne sont pas du tout chrétiens. Elle doit porter une catéchèse en image, simple, quintessentielle. Et la simplicité n’est pas une condamnation à la pauvreté. De quoi parle-t-on à ces visiteurs ? D’un meuble ou de Dieu ? Rien ne dit que s’y célèbre le mystère eucharistique. Que l’autel est le tombeau du Christ. Le visiteur pourra penser qu’on y fait des conférences. Le mystère divin est rendu… mutique.
Notre-Dame est le lieu où il faut montrer son ancrage et son éternité à travers les siècles et les tempêtes, sa nature qui dépasse toutes nos faiblesses.
À titre personnel, je n’aime pas la forme de "culbuto" de l’autel. Ni la faiblesse du socle du baptistère par rapport à la partie haute plus volumineuse. Leur équilibre est instable. On pourra argumenter de la fragilité de la foi ? De l’Église ? Notre-Dame est le lieu où il faut montrer son ancrage et son éternité à travers les siècles et les tempêtes, sa nature qui dépasse toutes nos faiblesses.
L’ombre au lieu de la lumière
J’aime l’éternité que porte le bronze. Mais la patine ombreuse choisie ici me semble trop fermée, trop bouchée, en un mot trop triste. Le tabernacle fermé est plus qu’austère si ce n’est funéraire (comme la cathèdre). La sublime perspective axiale baptistère-autel va d’ombre à ombre alors qu’elle aurait pu être un chemin de lumière. Les bâtisseurs du Moyen-Âge ont su faire entrer la lumière par les vitraux alors qu’ils avaient des contraintes inouïes. Nous ne pouvons pas éteindre cette lumière de la foi faite matière, qui doit briller dans les ténèbres. « Signe ce que tu éclaires, non ce que tu assombris » disait René Char.
L’écrin doit servir le joyau
À propos du reliquaire, c’est la moindre de mes remarques, mais il me semble que celui-ci n’est pas l’objet même de la contemplation. Il sert la relique et non l’inverse. Ici, la sainte couronne semble noyée dans une couronne qui parle d’elle-même plutôt que du trésor d’humilité et d’amour qu’elle contient.
Grandiose
Grandiose. C’est ce qu’est Notre-Dame. Ce que nous a légué le passé. Ce qui donne le vertige de Dieu. Je ne crois pas qu’il faille s’interdire ce vertige désormais. Ou alors il faut faire taire tous les orgues des églises et abattre les cathédrales. Dans ce qui est apporté par notre temps, je ne ressens pas cette émotion, ce vertige de Dieu qui soulève l’âme pour la mettre un instant face à ce qui la dépasse. Ou qui la fait tomber à genoux dans la reddition à l’amour infini. J’espérais de toutes mes forces ce bouleversement. Mais pour l’heure, seuls les ouvrages du passé de Notre-Dame gardent mon cœur dans un invincible été.