Patrick Tudoret publie aux éditions Tallandier un livre dont le titre En marchant pourrait effrayer certains électeurs, mais qui, rassurons-les, ne dit aux lecteurs rien qui puisse concerner un quelconque parti politique. L’ouvrage est d’ailleurs qualifié en sous-titre de "petite rhétorique itinérante" — ce qu’il est : ouvrage doublement provoquant parce qu’il est à la fois ancré dans le sol et évadé du siècle.
La joie perdue des randonnées d’autrefois
Tudoret y consigne pas à pas les réflexions et les réminiscences d’un marcheur invétéré qui, avec un début d’arthrose du genou, rançon d’un passé de tennisman, commence à découvrir la joie perdue des randonnées d’autrefois. Il est de ces hommes sensibles qui semblent ne voir leur bonheur que de dos, quand il commence à s’éloigner sur un sentier crépusculaire.
Le prix infini de ce privilège précaire qu’est le droit d’avancer droit dans ses souliers.
Mais le bonheur de Tudoret n’est pas évanoui, puisque l’auteur continue de marcher. Il n’est pas de ceux qui geignent en marchant. Il se réjouit et il rend grâce. Il marche partout, en plaine et en montagne, dans les villes et à la campagne, dans des métropoles et dans des villages, sur de célèbres sentiers balisés de Saint-Jacques-de-Compostelle et sur des layons anonymes de Sologne ou du Vendômois. Même quand son genou le tracasse, il marche, non pas par masochisme, mais par plaisir et surtout par besoin. Il n’est pas le frère mélancolique d’un Patrick Segal (curieusement absent du livre), "l’homme qui marchait dans sa tête" : il reste bel et bien un homme qui marche sur ses pieds, sur des chemins de terre, et qui avec l’âge découvre le prix infini de ce privilège précaire qu’est le droit d’avancer droit dans ses souliers.
Marcher pour croire
Comme pour se rassurer d’on ne sait quoi, Patrick Tudoret n’insiste jamais quand il parle de lui, qui est pourtant ce qui nous intéresse le plus. Après une ou deux réflexions sur sa propre expérience, il ne tarde jamais à se référer à d’illustres marcheurs qui ont bâti une œuvre au rythme de leurs pas. Il pense à Montaigne, à Rousseau, mais aussi à Tesson, dont il évoque les excursions avec une empathie documentée. De l’art de changer de sujet quand on était sur le point de se confier. L’écrivain n’est certes pas le premier à avoir eu besoin de marcher pour penser et pour croire (les pèlerins d’Emmaüs aussi ont découvert le Christ à la fraction du pain, dans un gîte d’étape, un soir de triste randonnée). Mais ce marcheur pudique et profond nous donne une furieuse envie de reprendre notre sac-à-dos, à nous qui traînons trop longtemps sur les ordinateurs et pas assez sur les routes, pour vivre davantage et pour apprendre à aimer Dieu.