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Sur les chemins de Saint-Jacques, la théologie par les pieds

Camino
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Xavier Patier - publié le 12/10/22
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L’écrivain Xavier Patier a emprunté le chemin de Compostelle. Il raconte ses découvertes et ses rencontres, les moins désirées et les plus surprenantes. On n’est jamais seul sur la route. Partout, le Christ s’en mêle.

Au mois de septembre, vieux rêve, j’ai marché sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, sur le tracé de la via Podiensis reliant le Puy-en-Velay à Cahors à travers les Monts d’Aubrac, le Rouergue et le Quercy. J’ai dégusté des paysages. J’ai goûté la beauté roborative de granges de granit. Et j’ai vu des églises, beaucoup d’églises, et des chapelles romanes semées dans les hameaux au fil des kilomètres : elles sont ouvertes, il faut entrer. Les pèlerins sont attendus. Impression étrange et douce de cheminer dans un pays de chrétienté. 

Pèlerin communautaire malgré lui

Il est difficile de démêler les motifs qui portent les adeptes des chemins de Saint-Jacques à prendre la route. Il y a les plus avouables, ceux dont nous parlons volontiers, qui concernent l’aventure spirituelle du pèlerinage — il serait aisé de développer de très jolis propos catholiques sur ce sujet, je vous les épargne —, et il y a aussi des motifs moins édifiants, comme le désir de réussir un exploit sportif, d’allonger les étapes et de se sentir affûté, et même des mobiles moins glorieux encore dont nous ne parlons guère et qui pour moi l’emportaient sur les autres et se résumait à une ambition égoïste : faire que pendant quelques jours on me fiche la paix. Téléphone coupé. Pas de courrier. Pas de messagerie. Pas de casse-pieds. Moi et mon sac à dos. Seul face aux vaches pensives, qui en Aubrac ont des yeux de velours comme la belle de Cadix. Autonomie totale. Paix royale.

Ce que j’ignorais, c’est à quel point les pèlerins de Saint-Jacques, marcheurs solitaires, finissent par former malgré eux une communauté.

Ce que j’ignorais, c’est à quel point les pèlerins de Saint-Jacques, marcheurs solitaires, finissent par former malgré eux une communauté. Communauté silencieuse, secrète, taciturne, mouvante à la fois dans sa localisation et dans son périmètre, mais communauté heureuse. Moi qui voulais à tout prix rester seul, ne pas engager de conversation, quitte à ralentir ou accélérer le pas pour ne jamais rejoindre personne, j’ai intégré cette communauté. Tel pèlerin aperçu fugitivement sur le banc d’une chapelle réapparaissait trois ou quatre jours plus tard à la terrasse d’un café et me parlait de ses ampoules aux pieds. Il fallait lui répondre quelque chose.

La visite de l’ange

Sur la route, nous ne nous disions guère bonjour, non par discourtoisie, mais d’un commun accord tacite, pour ne pas abîmer le silence. Rarement nous échangions quelques mots, et toujours sur des sujets pratiques : itinéraire d’une étape, point de ravitaillement, choix du sac. Rien de théologique. Rien de personnel. On ne se livrait pas. Tutoiement général : il existe une pudeur du tutoiement. Curieusement, des réputations naissaient : untel était connu pour ronfler au dortoir, tel autre pour parler trop, tel autre pour venir d’Osaka. Et parfois, un ange nous rejoignait : je songeais à cette épître aux Hébreux dans laquelle saint Paul nous exhorte à pratiquer l’hospitalité, parce que, sans savoir, nous hébergeons parfois des anges. 

Le soir, après l’office de complies, les moines bénissent les randonneurs réunis sous les voûtes cisterciennes et distribuent des évangiles. Pas un des invités ne manque à l’appel.

Au sommet du parcours, il y a l’étape de Conques. Ici, ce sont les anges qui nous reçoivent et qui nous servent. Une communauté de prémontrés organise l’accueil des pèlerins dans l’abbatiale. Ces hommes de prière, voués à une œuvre d’évangélisation difficile, prennent les marcheurs comme ils sont. Ils leur parlent de Dieu par le langage que tout le monde comprend, la beauté. Beauté de l’architecture, des paysages, de la musique, de la liturgie. Le soir, après l’office de complies, les moines bénissent les randonneurs réunis sous les voûtes cisterciennes et distribuent des évangiles. Pas un des invités ne manque à l’appel. Les pèlerins au long cours découvrent qu’ils sont le maillon d’une très vieille aventure.

Le Christ s’en mêle : le sacrement de réconciliation est proposé, des conversions secrètes prennent naissance au milieu des sac-à-dos. Et tous ces randonneurs anonymes, et cet ange dont nous n’avons pas même su le nom, nous les gardons avec nous pour toujours.

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