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Sur les chemins noirs, solitude et rencontre

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Thomas Goisque

"Sur les chemins noirs", un film de Denis Imbert avec Jean Dujardin.

Henri Quantin - publié le 19/04/23

L’écrivain a vu le film "Sur les Chemins noirs", inspiré du récit de Sylvain Tesson parti traverser la France à pied sur son chemin de rédemption. Comment fuir le monde sans fuir entièrement les hommes, telle est la question qui affleure sans cesse.

1.302 kilomètres. C’est la distance qui sépare le parc du Mercantour dans les Alpes-Maritimes du cap de la Hague à l’extrême Nord-Ouest du Cotentin. Faut-il vraiment appeler cela la “diagonale du vide”, comme s’il n’y avait rien, à voir ou à faire, hors des territoires urbains ?  Peut-être la formule cache-t-elle un aveu involontaire que le citadin moderne est plein d’une écœurante satiété, sans nulle place libre pour accueillir autre chose que lui-même. S’il s’agit d’un espace vide de trottinettes électriques, de tours de Babel ou d’antennes 5G, ce vide-là pourrait bien être un lieu de plénitude.

Chaque mètre est une victoire

1.302 kilomètres. C’est la distance que décide de parcourir Pierre Girard, double cinématographique de Sylvain Tesson joué par Jean Dujardin, après une chute suivie d’un coma, qui lui a fait craindre de ne jamais retrouver l’usage de ses jambes. Inspiré du récit publié par Tesson en 2016, le film de Denis Imbert s’affranchit de la stricte identification de son personnage et de l’auteur. Inutile de savoir ce qui relève de l’autobiographie pour entrer dans cette histoire de l’accomplissement d’un vœu fait par l’écrivain : si je remarche un jour, je traverserai la France à pied de part en part. Au-delà même du défi du personnage masculin, peut-être est-ce la France la véritable héroïne. La carte IGN, où sont tracés les “chemins noirs”, peut alors viser le césar du second rôle.

Dans l’histoire de Pierre Girard-Sylvain Tesson, il s’agit de 1.302kilomètres pour revivre, mais d’abord pour réapprendre à marcher : le bref flash-back d’une séance de rééducation avec déambulateur donne une valeur presque miraculeuse à chaque pas du marcheur relevé, dont chaque mètre est une victoire. Le randonneur expérimenté qui se jouait de la fatigue et des dénivelés découvre, plein d’orgueil blessé, ce que peut coûter le moindre mouvement à une personne diminuée. “J’ai pris cinquante ans en tombant de huit mètres”, constate amèrement l’ex-acrobate des cimes. La guérison a en outre des allures de rédemption, puisque l’accident a été provoqué par l’abus d’alcool et que toute nouvelle goutte bue provoquerait une rechute.

Au rythme des rencontres

Longue marche d’un personnage solitaire, succession des paysages traversés : le principe du film court le risque de lasser, d’autant que les aphorismes tessoniens en voix off frôlent parfois l’esthétisme poseur. Le montage alterné, toutefois, joue du contraste entre la vie facile d’avant et les efforts du convalescent, ce qui évite la monotonie d’une contemplation trop soulignée. Rien de spécialement inventif dans le procédé, certes, mais une indéniable efficacité pour donner de l’intensité au présent par l’évocation du passé qui l’explique, le densifie et le gonfle de sa sève.

À cela s’ajoutent les rencontres qui rythment la marche. Tantôt recherchées tantôt subies, elles dessinent les contours d’une réflexion sur les bienfaits et les limites de la solitude. Jeune femme en short espérant garder le héros pour la nuit, jeune homme un peu perdu voyant en lui un père de substitution, ami venu de loin pour partager un fragment de l’itinéraire cantalou…, autrui fait tour à tour figure de tentation facile, de compagnie légèrement importune ou de présence salutaire. Comment fuir le monde sans fuir entièrement les hommes, telle est la question qui affleure sans cesse. Une réponse catholique a été formulée par le père François Cassingena-Trévedy à propos de la méditation, dans un de ses Propos d’altitude (Albin Michel) :

Si la méditation est un exercice solitaire, elle ne mène pas pour autant à une vie isolée. Elle appelle la conversation, sa sœur, sa compagne, qui, le temps venu, la stimule, l’élargit et lui assure sa fécondité sociale. Sans doute n’est-il de conversation véritable qu’entre ceux qui méditent (pareil exercice le préservant de dégénérer en bavardage), comme il n’est de méditation véritable que celle qui débouche sur l’amitié.

On ignore si Sylvain Tesson, qui déclare volontiers préférer les dieux païens au Père céleste, Homère aux Évangiles et l’admiration d’une panthère à l’adoration eucharistique, pourrait faire siens les mots de l’ermite et témoigner ainsi que catholique peut encore signifier universel.

Habiter un lieu

On ne sait pas non plus si la mère de Pierre Girard a conscience de reprendre les mots du cantique de Zacharie, quand elle écrit à son fils : “Tu marcheras devant.” Le contexte empêche de compléter en chantant “à la face du Seigneur et tu prépareras Ses chemins”, mais il n’est pas entièrement anodin que le héros confie penser à sa mère chaque fois qu’il passe devant une croix, ce qui arrive encore assez souvent sur les chemins de France… De fait, même si la voix off met en avant ceux qui veulent disparaître dans la géographie contre ceux qui veulent rester dans l’Histoire, la séparation ne tient pas tout à fait, tant l’Histoire, et plus particulièrement, l’histoire de l’Église, offre ici des lieux de passage, de halte ou de refuge.

Monastère de Ganagobie, église de Murat, Mont Saint-Michel suggèrent que l’opposition n’est pas tant entre les lieux vides et les lieux pleins qu’entre les différentes manières d’habiter un lieu. Le saint Pierre sculpté dans la colonne de pierre du monastère le signale à sa façon : on peut graver sans détruire, bâtir sans saccager, s’installer dans la nature sans la souiller. Entre rêverie romantique sur un état de nature régressif et bétonnage généralisé, les moines témoignent d’une manière d’habiter un lieu qui nous précède sans en violenter l’harmonie. Là, la solitude approfondit la rencontre et l’immobilité est encore élan vers l’autre, habitât-il à plus de mille trois cent deux kilomètres. Voix off finale : il est des chemins qui ne figurent sur aucune carte et qui abolissent les distances.   

Tags:
Cinémanature
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