"Il possédait un regard de père et un sourire d’enfant", se souvient le cardinal Robert Sarah, préfet émérite de la congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements, dans Il nous a tant donné, un livre rendant hommage à la figure de Benoît XVI, édité par Fayard et publié le 12 avril 2023. Le cardinal insiste sur l’héritage du pape allemand dans le domaine liturgique et dénonce des manœuvres au sein de la Curie romaine.
L’ouvrage de 250 pages rassemble des méditations du cardinal guinéen sur celui qu’il décrit comme son "maître spirituel" ainsi que dix textes du 265e pontife. La préface et un essai de 40 pages, intitulé Portrait mystique de Benoît XVI, sont les seules contributions inédites.
Sans s’arrêter aux détails biographiques, le cardinal Sarah dresse le portrait d’un Benoît XVI qu’il a admiré, un homme "heureux d’une joie céleste" au "regard lumineux". Il se souvient aussi de "sa voix douce, tremblante devant le mystère" de l’existence de Dieu. Il rend aussi hommage à sa "paternité", exercée en tant que prêtre, cardinal puis pape, une autorité affectueuse vécue selon lui "dans la discrétion" en raison de son"extrême pudeur".
Cette attitude a valu au 265e pape d’être victime des "meutes médiatiques déchaînées" et des "moqueries venant du monde catholique", se désole le cardinal. Il "n’a pas agi en politique", répond-il à ceux qui ont décrié sa "faiblesse politique".
Le cardinal souligne que le pape allemand "n’a pas multiplié les nominations cardinalices pour peser sur un futur conclave qu’il savait pourtant proche" et n’a pas" écarté ses adversaires". Une manifestation, selon lui, de sa "volonté mystique d’entrer dans l’exercice paternel du pouvoir", qui tiendrait lieu d’exemple "à l’heure où l’Église semble obsédée par elle-même, par ses structures, par son avenir, son souci de s’adapter au monde occidental".
Le pape allemand, insiste le cardinal Sarah, "vivait toute division comme une blessure infligée à son propre cœur de père". Il revient en particulier sur la "place décisive" accordée par Benoît XVI à la liturgie, rappelant qu’il a été "trainé dans la boue" pour avoir tenté un rapprochement avec les milieux intégristes.
Le cardinal dédie son livre au « bon père » François
Le cardinal appelle ensuite à méditer sur son exemple à l’heure où, "sous prétexte d’une Église inclusive et synodale" on en vient à "taire la vérité" et exclure des personnes de l’Église "au nom du consensus". "Tout rejet et toute exclusion du frère que l’on étiquette comme traditionaliste est l’œuvre du Diable", insiste-t-il, faisant référence au motu proprio Traditionis custodes (2021) dans lequel le pape François restreint fortement la place de la messe dite "traditionnelle".
Le cardinal Sarah ne s’en prend cependant pas au Pape régnant – à qui est dédié le livre et qui, selon lui, encourage en "bon père" à une "attitude bienveillante" – mais à "certains membres de la Curie". Il compare ces derniers à des "loups" qui "rôdent" autour du Pape, affirmant qu’ils intriguent pour "empêcher les évêques" d’adopter une attitude conciliante vis-à-vis des communautés traditionalistes.
Ces derniers mois, des accusations similaires ont été adressées par des médias traditionalistes au cardinal Arthur Roche, successeur du cardinal Sarah à la tête du dicastère pour le Culte divin et la discipline des sacrements (2014-2021).
Un règlement de compte vis-à-vis de Mgr Gänswein ?
Dans sa préface, le cardinal Sarah affirme qu’il est pour lui "hors de question" d’utiliser ce livre pour "y régler des comptes" ou encore se laisser aller "au petit jeu des révélations". Paradoxalement, cette remarque pourrait cependant viser Mgr Georg Gänswein et son ouvrage Rien d’autre que la vérité, ma vie aux côtés de Benoît XVI (12 janvier 2023, Piemme).
Dans ce récit, publié quelques jours seulement après la mort du pontife allemand, son ancien secrétaire avait critiqué très durement le comportement du cardinal guinéen lors de la publication du livre Des profondeurs de nos cœurs en 2020. Ce précédent ouvrage défendait le célibat des prêtres, alors remis en question par le synode sur l’Amazonie (2019).
La signature de Benoît XVI à côté de celle du cardinal Sarah sur la couverture de l’ouvrage avait suscité une importante polémique. Plusieurs commentateurs avaient dénoncé une manipulation de la part de l’entourage du cardinal guinéen – une thèse contestée par ce dernier mais reprise dans le récent livre de l’ancien secrétaire de Benoît XVI.
Dans son nouveau livre, le cardinal Sarah se concentre sur le fond du débat, citant le pape Benoît XVI qui avait déclaré que le célibat sacerdotal serait "toujours un scandale" en ce monde. Le pape allemand, affirme le cardinal guinéen, a montré que l’Eucharistie est le "véritable remède au cléricalisme", et non une forme de "tolérance factice".