Les catholiques de droite ont toujours eu du mal à accepter l’idée que Dieu se soit manifesté dans l’Histoire en recourant à des ploucs. C’est pourtant la réalité : saint Benoît Labre ne se lavait pas et Bernadette Soubirous ne savait pas se tenir à table, sans parler des milliers d’autres qui ont leur nom inscrit dans le ciel plutôt que dans le Bottin mondain. Ne vous réjouissez pas de ce que les snobs du monde soient à vos pieds, mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans le ciel, dit l’Évangile de Luc (Lc 10, 20). La richesse est pourrie, précisait saint Jacques, disciple du Seigneur. Quant aux préséances, Jésus a dit ce qu’il fallait en penser dans la parabole du banquet.
Des pauvres et des puissants
Mauriac faisait observer que Jésus Christ, fils de Dieu, incarnait ce que son milieu bordelais, à son époque, détestait le plus au monde : un ouvrier et un Juif. Jésus, ouvrier et juif. Les dames comme il faut, chaque dimanche, communiaient dans leurs paroisses des beaux quartiers au corps d’un ouvrier et elles en étaient transportées au Paradis, et elles avaient raison car nul ne vient au Père que par le Christ. Nul ne peut atteindre Dieu que par Jésus, ouvrier et juif. Et Jésus, ouvrier et juif, se laisse atteindre par tous, même par les dames de la bonne société. Il ne fait pas acception des personnes. L’humour de Dieu a fait que le secret de la révélation a été transmis par ces dames qui avaient leur jour et leur salon. La transmission de la parole de Dieu a dépendu, en certaines générations, d’une bourgeoisie à cheval sur l’accessoire, qui semblait n’avoir pas tout à fait compris ce qu’elle transmettait. Mais au fond qu’en savons-nous ? Il est facile de juger les générations qui ne sont plus là pour répliquer.
Les catholiques de gauche ont toujours eu du mal à supporter l’idée que Dieu se soit révélé si souvent à travers des hommes puissants, riches ou réactionnaires. C’est pourtant le cas.
Car à l’opposé, les catholiques de gauche ont toujours eu du mal à supporter l’idée que Dieu se soit révélé si souvent à travers des hommes puissants, riches ou réactionnaires. C’est pourtant le cas. Il y a le Centurion, saint-cyrien à la nuque rasée et aux idées "tradi", ou Zachée, inspecteur des finances qui vivait sur la bête, et il y a les rois saints, dont saint Louis reste le prototype, et qui fut roi sans la moindre réserve, et qui comme tout chef temporel a usé de son pouvoir avec un discernement inégal. Sans la générosité des riches, nous n’aurions pas de cathédrales. Jésus n’a pas refusé le nard de grand prix de la très solvable Marie-Madeleine.
La royauté du Christ
Avant tout cela, il y a la royauté du Christ. Jésus est ouvrier-charpentier, il est aussi roi. En 1925, Pie XI n’aurait pas eu l’idée d’instituer une fête du "Christ-président de la République". L’encyclique Quas primas, dont l’idée était pourtant partie de France, montre le caractère essentiel de la royauté du Christ, ouvrier de la descendance de David. Jésus reçut de son père "la puissance, l’honneur et la royauté" dont parle le prophète Daniel. Et Pie XI explique comment il importe de retrouver le sens de la royauté du seul vrai roi, "à l’heure où les hommes et les États sans Dieu, devenus la proie des guerres qu’allument la haine et des discordes intestines, se précipitent à la ruine et à la mort".
Dieu renvoie les riches les mains vides, dit Marie dans le Magnificat. Mais il s’invite à la table des publicains et des pécheurs. Tout cela montre combien nos catégories ne tiennent pas face à la vérité de l’Évangile. Le Christ nous prend là où nous sommes. Mais il nous demande de tout laisser : à l’homme riche, d’abandonner ses biens, et au pauvre, d’abandonner ses soucis.