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Une terrasse de café sur un boulevard parisien. Un homme vêtu d’un blazer croisé et d’un pantalon clair, estival, un Panama sur la tête, regarde au loin. C’est le cœur de l’été et la scène serait absolument anodine si l’orage qui éclate sur bien des villes de France n’avait transformé la chaussée en torrent. Il y a de l’eau jusqu’aux mollets. Pour ne pas mouiller ses précieux mocassins, l’homme se sert d’une chaise de la terrasse pour y poser ses pieds. Il attend tranquillement la fin du déluge. Une voix de jeune femme l’interpelle : "Monsieur !" Il ne répond pas, regarde au-delà. "Vous n’avez besoin de rien ? — Non, merci beaucoup". Chacun se sourit et la vie continue.
Insultante insouciance
Les chaleurs étouffantes, les coups de tonnerre terrifiants et les incendies gigantesques que notre pays a connu au long de ces dernières semaines suffiront-ils à nous faire réagir ? Nous pouvons continuer de rester assis, dans nos tenues de vacances, les jambes allongées alors qu’autour tout prend l’eau. Le dandy est toujours chic jusqu’à ce qu’il en devienne grotesque. L’insouciance est longtemps élégante jusqu’à ce qu’elle devienne insultante. Choisir d’être spectateur du monde, c’est décider de camper dans la passivité. C’est se dire qu’il n’y rien d’autre à faire sinon subir un réel sur lequel je refuse de chercher à avoir la moindre emprise. C’est renoncer à collaborer à l’œuvre de Dieu en ne faisant que jauger et juger les actes d’autrui. On pourra bien se retrouver à des grand-messes, fussent-elles présidées par de hauts prélats sur des lieux de villégiatures mondains, et se gargariser de propos sur le monde tel qu’il ne va pas. Mais, faute de chercher à y engager nos forces, nos cerveaux et nos générosités, nous courrons le risque de n’être que des cymbales qui résonnent.
Les rumeurs d’abus et leurs réalités, jusque dans les plus hautes sphères de notre société ou de l’Église, qui dévoilent crûment ce que le sentiment de supériorité sème comme germe de perversion dans les cœurs, nous révèlent comment le serviteur lorsqu’il se croit le maître et qu’il agit comme tel, emprunte un chemin de perdition et y entraîne avec lui ceux qui le fixent, hypnotisés.
Nous colmatons les brèches
Face à tout cela, un seul slogan semble aujourd’hui devoir résonner à tout bout de champ : "Il faut restaurer l’ordre !" Comme si l’ordre en soi était une valeur suffisante pour assurer le bonheur des hommes... Les sociétés qui prônent l’ordre comme absolu de leur horizon se muent vite en prison à ciel ouvert : il n’y a que dans les pénitenciers les plus sévères et dans certaines casernes que l’ordre est la règle d’airain. S’il est nécessaire, ce principe ne peut, sauf contresens tragique, suffire à rassembler une société. La sécurité ne sera jamais la première des libertés. Ni dans l’État, ni dans l’Église : non qu’elle soit inutile, mais elle ne peut constituer à elle seule le cap d’une politique sans diriger le navire qui la choisit comme gouvernail vers la tyrannie ou le sectarisme.
Cessons de nous retrancher derrière nos exigences de sécurités illusoires et occupons-nous d’avantage de justice.
Sans doute, la sécularisation qui ne sait plus penser le monde autrement qu’en fantasmant une existence épurée de tout accident, aseptisée et normée, n’y est-elle pas pour rien. Il y a trop d’incendies ? Multiplions les canadairs ! L’essence coûte trop cher ? Envoyons des chèques ! L’islam nous fait peur ? Renvoyons des imams ! On pourrait multiplier les exemples... Non qu’ils soient inutiles : ils traduisent notre absolue impuissance collective à envisager un avenir. Nous colmatons les brèches dans une société où, par exemple, le travail est devenu la condition du loisir et non plus la grandeur de la vie, tout en nous résignant aux contraintes et ne supportant plus le risque.
L’eau ne cesse de jaillir
Cette rentrée sera rude, nous prédisent ceux qui ne voient plus de possible. Elle l’est déjà, rude, alors que l’été est toujours là, pour nombre d’hommes et de femmes à qui l’on a volé l’Espérance. En les décourageant de croire, en les ensevelissant sous des règles et des principes devenus tellement envahissants et en même temps si élevés, qu’ils bâtissent des murs autour des seules sources où l’eau ne cesse de jaillir. Des régions entières sont en état de canicule ou de sécheresse : les nappes souterraines et des fleuves sont à leurs plus bas niveaux depuis des lustres. Contre cela, nous ne pouvons pas grand-chose à titre personnel sinon changer quelques habitudes dispendieuses. Mais comment expliquer et justifier que la source d’eau vive, celle par laquelle le Christ lui-même se donne à tous ceux qui cherchent à étancher leur soif, oui, comment expliquer que cette source-là soit perçue encore moins accessible par beaucoup de nos contemporains qui s’en estiment exclus ou indésirables ?
L’Évangile ne cesse de nous désigner un Sauveur qui s’expose, se livre, se donne jusqu’au plus intime de lui-même, sans rien refuser, sans rien préserver de lui-même. Cessons de nous retrancher derrière nos exigences de sécurités illusoires et occupons-nous d’avantage de justice qui est la condition pour la vraie charité, tout en essayant de nous tenir un peu plus sous la Vérité du regard de Dieu. N’attendons pas que le monde passe, car il passe, sans chercher à l’ensemencer chaque jour de l’œuvre créatrice à laquelle Dieu ne cesse de nous appeler à collaborer.