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Ma dernière tribune portait sur la magie de l’image — qui montre tout et ne démontre rien. Elle faisait écho à la guerre de l’information en Ukraine. Qu’il me soit permis cette fois de faire l’éloge de la réalité virtuelle (VR). Non pour frelater mais relater. Cette technologie en plein essor remet en mouvement les splendeurs immobiles de notre architecture. Les vieilles pierres rajeunissent et nous avec elles ! Trois ans après l’incendie du 15 avril, Notre-Dame de Paris se met ainsi en scène, comme si des esprits ludiques avaient saisi ce temps de purgatoire touristique pour créer un désir, une attente et aussi une méthode. Le long-métrage Notre-Dame brûle nous plongeait déjà dans une reconstitution troublante de vérité — tant l’œil peine à distinguer la fiction du reportage. Après deux ans de travail, l’éditeur français Ubisoft profite du film de Jean-Jacques Annaud pour sortir un jeu d’évasion (escape game) également baptisé Notre-Dame brûle ! "L’idée est de se frayer un chemin dans la cathédrale pour trouver des reliques et combattre le feu, car vous devez sauver Notre-Dame [avant que le temps ne soit écoulé]", indique le studio. Pour relever le défi, il faut aller dans des espaces dédiés, disponibles à travers le monde. Le jeu fait fi de quelques anachronismes. On peut gravir la flèche de Viollet-le-Duc et aussi sauter de son sommet.
Une expérience immersive
Moins sportif, Éternelle Notre-Dame fait vivre une expérience en VR inédite. Il ne s’agit pas d’un jeu mais d’une visite guidée. Comment donc puisque la cathédrale est fermée au public ? Qu’à cela ne tienne : il suffit d’aller à l’espace Viollet-Le-Duc à l’Arche de la Défense (jusqu’au 29 mai). Ce n’est pas du cinéma. On s’embarque dans une aventure, et pour cela, on commence par s’inscrire sur un écran tactile afin de créer son avatar. Puis on vous équipe d'un casque de réalité virtuelle relié sans fil à un sac-à-dos informatisé. La visite peut commencer. Mais pour visiter quoi ? À ce stade, on se trouve au seuil d’une pièce de 500 m2 semblable à un gros cube blanc strié de lignes et tapi de hiéroglyphes. On met le casque et, aussitôt, cet espace insolite prend vie et vous transporte dans l’autre monde. D’abord, l’avatar apparaît : les corps des visiteurs surgissent sous la forme de spectres aux gestes et aux déplacements mécaniques. Certains sont surmontés du nom avec lequel ils viennent de s’inscrire ; ce sont vos coéquipiers. Les autres, anonymes, sont juste des visiteurs. Vous les voyez pour ne point les heurter. Ce point est important : Éternelle Notre-Dame est la seule expérience immersive qui ne soit ni statique ni individuelle. Ici, non seulement on déambule mais jusqu’à 50 personnes peuvent le faire en même temps ! Un critère décisif pour enseigner l’histoire aux écoliers, même si l’équipement ne convient pas aux enfants de moins de 11 ans.
Il pleut sur les pavés luisants
Mais comment évolue-t-on dans un paysage 3D ? La règle du jeu est simple. C’est une sorte de marelle. Sitôt le casque activé, un hologramme humain vous accueille. Il va vous accompagner tout au long de la visite en nous racontant des histoires. Il suffit de le suivre. Les séquences s’enchaînent dès que l’on rejoint un grand rectangle dont les bords sont illuminés en bleu. Y poser les pieds lance une scène du scénario. On passe ainsi de case en case. Pour ne pas s’égarer et aller heurter les murs physiques de l’espace virtuel, un rempart lumineux rouge se forme devant vous sitôt que l’on franchit une certaine limite. Si vous restez dans le chemin mais que vous êtes perdu ou que le scénario se désactive, il faut garder le casque et suivre une ligne blanche jusqu’à une colonne de lumière. Quand on y est, le paysage 3D revient et la déambulation peut reprendre.
Notre guide est moins là pour nous distraire que pour nous instruire. La première scène nous place sur le parvis du Paris médiéval. Il fait nuit et il pleut sur les pavés luisants. Au bout de la rue, entre les maisons, la silhouette de la cathédrale baigne dans une lumière falote. On est tout de suite saisi par cette remontée dans le temps. On croise une multitude de personnages, ici un évêque, là des chanoines, plus loin des compagnons. La foule aussi. La ville bruisse du chantier des tailleurs de pierre. Dans la cathédrale, des obstacles surgissent. On se prend à témoin de situations absurdes quand, dans la charpente, on se plie en deux pour ne pas se cogner à des poutres imaginaires…
Vue incroyable sur le Paris médiéval
Deux séquences verticales ponctuent le parcours, lorsque l’hologramme nous invite à prendre place sur des plateformes : l’une, à la croisée du transept, nous élève jusqu’aux voûtes — que l’on traverse même pour aller "toucher" la charpente. Incroyable ascension entre le jubé disparu et la nef vide de sièges où circulent des personnages du XVIIe siècle. Comme dans une montgolfière, le regard s’émerveille à mesure que le volume de l’édifice se dilate. Jamais personne ne peut en apprécier la profondeur sous cette perspective. L’autre plateforme se trouve dans la rue Neuve-Notre-Dame, voie aujourd’hui disparue. Un ascenseur virtuel nous fait monter le long de la cathédrale jusqu’au sommet des échafaudages en bois. On y pose le pied prudemment. Le vide se laisse deviner entre les planches. Pourvu qu’elles tiennent ! En levant la tête, le paysage s’élargit au Paris médiéval. Vue incroyable.
On sillonne ses entrailles faites de pierres et de bois, au gré des époques, des lieux invisibles, des recoins inaccessibles, du beffroi abritant le bourdon Emmanuel aux méandres de la terrasse panoramique.
L’édifice n’est plus figé dans sa splendeur minérale muette et froide. On sillonne ses entrailles faites de pierres et de bois, au gré des époques, des lieux invisibles, des recoins inaccessibles, du beffroi abritant le bourdon Emmanuel aux méandres de la terrasse panoramique. Ce voyage dure 45 minutes, ce qui est exceptionnellement long, les expériences immersives statiques se limitant le plus souvent à une quinzaine de minutes.
Une résurrection avant l’heure
Cette expédition ne se borne pas à produire des sensations mais fait passer un message : chacun doit devenir un acteur de la renaissance du monument, lequel doit être restauré dans l'unité et le respect des traditions, c’est-à-dire de sa vocation surnaturelle. Si le sens passe par les sens, c’est que tout un public n’assimile plus le savoir comme avant, comme si le mot livre s’opposait au verbe vivre. On veut éprouver pour connaître. L’un et l’autre se complètent et réalité virtuelle n’est pas un oxymore. "L’immersion ne remplace pas l’expérience réelle mais la précède", estime François Nicolas, président d’Amaclio Productions. L’homme est passionné par l’histoire et la littérature. Avec Bruno Seillier, scénariste et metteur en scène, il crée depuis dix ans des spectacles prestigieux sur des monuments emblématiques. Sa mission ? "Inviter à aimer et faire aimer l’histoire, en magnifiant le patrimoine européen." La Nuit aux Invalides magnifie déjà la plus célèbre des cours d’honneur. Les Parisiens s’y précipiteront encore l’été prochain pour la 10e édition.
S’il relève de l’initiative privée, le projet Éternelle Notre-Dame présente un caractère officiel. Le scénario résulte d’une collaboration avec les équipes de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale. Orange, financeur et propriétaire du contenu, lui reverse 10 euros par billet. Facebook et Apple injectent des milliards pour devenir le métavers de référence. Éternelle Notre-Dame fait mesurer le caractère pionnier et stratégique de cette entreprise française, pour exporter l’image de notre patrimoine et envisager une solution à la surfréquentation touristique, qu’il s’agisse du château de Versailles, du tombeau de saint Pierre ou de Machu Picchu. Hormis le fait, bien sûr, qu’Éternelle Notre-Dame fasse de la restauration de la cathédrale une résurrection avant l’heure.
En pratique