"Nous nous plaignons lorsque nous lisons les histoires des camps du siècle dernier, ceux des nazis, ceux de Staline […]. Cela se produit aujourd’hui sur des rivages tout proches". La deuxième journée chypriote du pape François, ce 3 décembre, s’est conclue sur ces mots très forts du pontife comparant certains camps de migrants à des camps de concentration, dans un discours largement improvisé à Nicosie, devant des réfugiés chrétiens. Le Pape n’a pas mâché ses mots en visant les "tortures" infligées aux migrants, et les "fils barbelés" qui expriment de la "haine".
Dans la petite église Sainte-Croix de la capitale, située sur la ligne verte de Chypre, à deux pas de la haute muraille de pierre séparant le territoire grec et le territoire turc depuis 1974, le pape a aussi médité sur le "rêve de Dieu", celui "d’une humanité sans murs de séparation, libérée de l’inimitié, avec non plus des étrangers mais seulement des concitoyens". "Dieu nous parle à travers vos rêves", a-t-il ajouté à l’attention des migrants qui participaient à ce temps de prière œcuménique, au milieu de l’assemblée de 250 personnes, catholiques, orthodoxes, ou encore évangéliques.
C’est d’ailleurs sous le signe du dialogue entre chrétiens qu’avait débuté cette journée puisque le chef de l’Église catholique a été reçu tôt ce matin par l’archevêque orthodoxe de Chypre Chrysostome II. Cette rencontre s’est poursuivie dans la cathédrale orthodoxe de la ville, avec le Saint-Synode chypriote. Dans des propos très engagés, le chef orthodoxe y a dénoncé "un plan de nettoyage ethnique" de la Turquie, demandant l’aide de l’évêque de Rome pour récupérer des biens culturels religieux perdus après l’invasion turque de 1974. Le pape François, qui avait évoqué ce sujet délicat la veille, a quant à lui plaidé pour une véritable écoute entre confessions chrétiennes, demandant à ses "chers frères" d’aider les catholiques à mieux vivre la dimension synodale de l’Église.
Si nous restons divisés entre nous [...] nous ne pourrons pas guérir pleinement de nos aveuglements.
Au cours de cette matinée chargée, le pontife argentin a célébré une messe au stade de Nicosie, pris d’assaut par 10.000 fidèles, dont de très nombreux Libanais venus pour l’occasion, arborant fièrement leurs drapeaux dans les gradins. Là encore, le pape François a appelé la petite communauté catholique de l’île, aux origines très diverses, à l’unité : "Si nous restons divisés entre nous, a-t-il averti, si chacun ne pense qu’à lui-même ou à son groupe, si nous ne nous rassemblons pas, nous ne dialoguons pas, nous ne marchons pas ensemble, nous ne pourrons pas guérir pleinement de nos aveuglements." La guérison se produit "lorsque nous faisons face à nos problèmes ensemble", a ajouté le pontife, mettant en garde contre l’illusion du péché qui "nous fait voir Dieu comme un patron et les autres comme des problèmes".
Et pour couronner la journée, en résonance avec l’appel d’une jeune mère de famille irakienne, qui, s’agrippant au pape, lui a demandé de lui donner asile à Rome, le Saint-Siège a confirmé qu’une douzaine de migrants seraient accueillis en Italie d’ici la fin de l’année, sur initiative du pape argentin.