Un bras de fer s’est engagé en France autour du mot « intégral », comme qualificatif donné à l’écologie. L’expression « écologie intégrale », popularisée en 2015 par le pape François dans son encyclique Laudato si’, a une portée comparable à celle du « développement humain intégral » promu par l’Église depuis Paul VI. Le développement comme l’écologie doivent être cohérents, complets, globaux, et inclure « tout l’homme et tous les hommes ». Le pape François propose une approche similaire avec sa « bioéthique globale » (qu’il relie d’ailleurs à l’écologie intégrale) : ne se contentant pas de lutter contre les atteintes à la vie humaine à ses stades vulnérables et ultimes, cette bioéthique élargie travaille aussi aux conditions d’une vie digne : lutte contre la mortalité maternelle et infantile, accès au logement, à l’eau etc.. Puisque « tout est lié », l’écologie intégrale est donc inséparablement environnementale, sociale, humaine et spirituelle.
À ce titre, l’accueil chaleureux de Laudato si’, en France, par les milieux écologistes a pu se faire sur un malentendu. L’aspect spirituel n’a pas posé problème : pour nombre de leaders écologistes non-chrétiens, la foi — contenue dans l’espace privé — peut être une alliée. Précieuse source de motivation dans le catastrophisme ambiant, l’espérance qu’elle induit insuffle dans le débat un « supplément d’âme ».
Le point de distorsion entre le pape et nombre de leaders écologistes tient à l’inclusion constante de la bioéthique et des questions qu’on nomme désormais « sociétales » dans son écologie intégrale. Que Laudato si’ ait intégré des sujets aussi sensibles que le respect de l’embryon humain ou l’accueil de son propre corps sexué, beaucoup ont préféré ne pas le voir, pour ne pas avoir à le contester. Mais à partir du moment où des responsables politiques français étiquetés écologistes ont voulu se réclamer de l’écologie intégrale, la controverse ne pouvait qu’éclater. Selon eux, le qualificatif intégral doit combiner questions environnementales et sociales, mais écarter les sujets anthropologiques et moraux. Une enquête de La Vie publiée le 17 septembre vient de relancer le débat. Intitulée « Doit-on en finir avec l’écologie intégrale ? », elle rapporte les propos du philosophe écologiste Dominique Bourg. Il assume : « La réintégration dans l’encyclique de l’enseignement de l’écologie humaine ne nous intéresse pas. » Selon lui, « se servir d’une certaine idée de la nature pour fonder des mœurs comme naturelles par rapport à d’autres qui ne le seraient pas est étranger à la pensée écologique ». Il revendique même, à propos du débat sur la PMA, l’exclusion de toute référence « à une quelconque morale ».
L’approche du pape François est pourtant tout autre puisqu’elle inclut dans son écologie intégrale, les exigences éthiques déduites de la « structure naturelle et morale dont [l’homme] est doté » (LS, n. 115) : les questions bioéthiques et « sociétales » (liées à la famille, au corps, au statut de la vie) sont éclairées par notre aptitude à discerner le bien et le mal.
Une fois honnêtement posé le différend, se pose la question de l’attitude des fidèles catholiques militant pour la « conversion écologique ». Certains affichent une opposition de fond avec les enseignements constants du pape François et de ses prédécesseurs sur les questions bioéthiques et « sociétales ». D’autres préfèrent mettre en avant une divergence tactique : il vaudrait mieux occulter toute référence à la bioéthique quand on parle d’écologie, pour ne pas se laisser distraire de l’urgence climatique. À les entendre, le risque d’une disparition de toute l’humanité rend secondaires les débats bioéthiques, d’autant qu’ils marginalisent les chrétiens. Mais alors, pourquoi y intégrer les problèmes sociaux, dont la résolution nécessite par ailleurs une anthropologie ajustée ? D’autres enfin verront au contraire dans l’appel à la cohérence de François une incitation au rapprochement de sensibilités différentes, toutes prêtes à travailler ensemble à une conversion vraiment intégrale, afin d’ouvrir à l’humanité de nouveaux chemins.