Violemment réprimées en 1848, étouffées le 4 septembre 1870 lors de la proclamation de la IIIe République, les aspirations sociales du prolétariat, en ce printemps 1871, alors qu’après quatre mois de siège, de bombardements, privations et souffrances sans résultat, Paris a dû capituler, n’aspirent qu’à se débonder. La proclamation de la Commune dans la capitale, le repli du gouvernement Thiers sur Versailles, ouvrent une parenthèse politique de sept semaines à peine, durant laquelle se mêlent aux aspirations légitimes du peuple humilié des violences orchestrées par l’extrême-gauche.
L’Église, jugée compromise avec la bourgeoisie et le Second Empire, en est une victime désignée. Vingt-quatre ecclésiastiques, dont l’archevêque de Paris, Georges Darboy, et quelques laïcs, paient de leur vie, souvent dans des conditions atroces, la haine agissante d’une minorité contre le catholicisme.
Le peuple monté contre le clergé
Les exécutions et massacres de la Semaine sanglante, fin mai, officiellement représailles aux violences du gouvernement Thiers contre les prisonniers fédérés, n’ont pourtant rien d’improvisé et ont été précédés, tout le printemps, d’une campagne de presse et d’opinion bien orchestrée. Avant de tuer des prêtres, certains auront savamment excité le peuple contre un clergé présenté comme criminel et poussé à toutes les profanations. Diffamer les hommes, détruire les bâtiments : tous les régimes ennemis du Christ connaissent le procédé… Il est efficace.
Les efforts caritatifs incessants de l’Église, l’aide aux plus défavorisés, l’évangélisation par l’exemple des quartiers populaires ont permis de retisser peu à peu des liens forts entre un catholicisme social et les faubourgs parisiens
Si la déchristianisation parisienne, ancienne car elle remonte au début du XVIIIe siècle et aux scandales provoqués dans les milieux populaires par les persécutions épiscopales contre les jansénistes, est réelle, elle n’est pas aussi généralisée que le souhaiterait des dirigeants communards souvent affiliés à la franc-maçonnerie. Les efforts caritatifs incessants de l’Église, l’aide aux plus défavorisés, l’évangélisation par l’exemple des quartiers populaires ont permis de retisser peu à peu des liens forts entre un catholicisme social et les faubourgs parisiens.
L’action des Filles de la Charité de saint Vincent de Paul, dont la sœur Rosalie Rendu, dans le quartier Mouffetard, est un bel exemple, tout comme le dispensaire et la soupe populaire du couvent de Reuilly, celle de la conférence Saint-Vincent-de-Paul, sous l’impulsion de Frédéric Ozanam et de ses amis, de l’abbé Henri Planchat, à Grenelle et Javel, puis à Charonne, révèlent aux ouvriers et artisans parisiens le vrai visage de la foi. Des conversions durables s’opèrent sous leur influence, des retours à la pratique religieuse et au respect de la morale chrétienne. Tout cela, ceux qui se proclament eux-mêmes « sans-Dieu » le savent et s’en irritent. Il faut couper une fois pour toutes les prolétaires de la religion, que Marx a qualifié « d’opium du peuple ».
Les religieuses doivent quitter l’habit
Dès le 2 avril 1871, les fédérés dénoncent unilatéralement le Concordat, proclament la séparation de l’Église et de l’État, suppriment le budget des Cultes, font main basse sur les biens du clergé, interdisent l’enseignement confessionnel, ferment et confisquent des sanctuaires parisiens, transformés selon les besoins, en clubs politiques, ateliers ou prisons. Exceptionnellement, dans certains quartiers bourgeois, le culte reste autorisé, mais seulement à certaines heures, de sorte que l’on voit se succéder en chaire prédicateurs de carême et tribuns révolutionnaires.
Dans les écoles catholiques, religieux et religieuses sont remplacés au pied levé par des instituteurs improvisés...
Des perquisitions ont lieu dans les sacristies et les couvents, ciboires, calices, patènes sont saisis s’ils ont quelque valeur marchande. Dans les écoles catholiques, religieux et religieuses sont remplacés au pied levé par des instituteurs improvisés qui, parfois, savent à peine lire et sont incapables d’enseigner quoi que ce soit, au grand dam des parents d’élèves qui, même dans les faubourgs, tiennent à ce que leurs enfants bénéficient d’une scolarité solide et d’une bonne formation morale.
À Reuilly, la grogne de ces ouvriers va jusqu’au dépôt d’une plainte contre les nouvelles « maîtresses », soupçonnées d’être des femmes « de mauvaise vie » auxquelles ils refusent de confier leurs filles… Cela n’empêche pas les tensions de s’aggraver. Début avril, les prêtres, s’ils veulent continuer à exercer un ministère de plus en plus clandestin, doivent quitter la soutane et s’habiller en civil. Les religieuses, y compris les sœurs de la Charité, reconnues pourtant d’utilité publique et, à ce titre, relativement protégées, doivent quitter l’habit. Le clergé s’y résout, la mort dans l’âme, afin de poursuivre ses activités et se mettre à l’abri d’insultes et de violences.
Une machine à tuer
Le 4 avril, en réponse à l’exécution sommaire de fédérés pris dans un combat à Châtillon, la Commune procède à des arrestations préventives : officiers, gendarmes, magistrats, mais aussi l’archevêque de Paris, Mgr Darboy, incarcéré à la prison de Mazas en compagnie de son vicaire général, Mgr Surat, et du promoteur diocésain, l’abbé Baye.
Ces figures emblématiques sont les premières victimes de ce qu’un dignitaire communard, Lissagaray, qualifiera, pour en dénoncer l’absurdité, de « razzia de soutanes ». Le lendemain est promulguée une « loi des otages » : « Toutes les personnes prévenues de complicité avec le gouvernement de Versailles seront les otages du peuple de Paris. Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera sur le champ suivie de l’exécution d’un nombre triple d’otages détenus qui seront désignés par le sort. »
On prétendra plus tard qu’il s’agissait d’une mesure « d’intimidation », que personne n’avait l’intention de passer à l’acte. Reste que ce texte, dans le climat tragique qui s’annonce, se transforme en machine à tuer, et que tel est bien le souhait des plus extrémistes.
Les otages ne valent rien
Après celle de l’archevêque et de ses assistants, les arrestations se multiplient. En quelques jours, l’on se saisit du curé de la Madeleine, le vieil abbé Gaspard Duguerry, des jésuites de la rue de Sèvres et de l’école Sainte-Geneviève, de douze prêtres de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie, dits Picpuciens, des curés de Saint-Eustache et Saint-Séverin, du supérieur du séminaire Saint-Sulpice, M. Icard, vite rejoint par sept de ses séminaristes, qui avaient eu la naïveté d’aller, en soutane, réclamer à l’Hôtel de Ville des laisser-passer pour rentrer en province… Bientôt, trois cents ecclésiastiques s’entassent dans les prisons parisiennes, et quelques dizaines de religieuses, à commencer par les dominicaines enseignantes de l’école Saint-Albert d’Arcueil et les Dames blanches de Picpus.
Tous ces otages constituent une monnaie d’échange mais ils ne représentent absolument rien aux yeux du pouvoir versaillais, aussi anticlérical que les Communards...
Tous ces otages constituent une monnaie d’échange mais ils ne représentent absolument rien aux yeux du pouvoir versaillais, aussi anticlérical que les Communards, la preuve en étant qu’il ne lui faudra pas très longtemps pour reprendre une bonne partie du programme anti-chrétien de la Commune.
Laisser les fédérés assassiner leurs prisonniers ecclésiastiques, ce sera faire d’une pierre deux coups : se débarrasser de quelques curés, et discréditer définitivement dans l’opinion les idées généreuses que défendait la Gauche, permettant une répression impitoyable. Le secrétaire de Thiers, Saint-Hilaire, résumant l’opinion de son patron, répond à ceux qui s’inquiètent du refus de Versailles d’échanger soixante-quatorze otages, dont l’archevêque, contre le leader révolutionnaire Blanqui : « Les otages ? Tant pis pour eux ! » Politiquement, leur mort sera une bonne affaire.
Accusations invraisemblables
Fin avril, les fédérés commencent à le comprendre, mais, bien que quelques voix se fassent entendre en faveur des otages, permettant par exemple la libération du curé de Saint-Séverin suite à une pétition de ses paroissiens, côté Communards, on donne dans la surenchère et la provocation. Après une grande manifestation franc-maçonne devant l’église Sainte-Geneviève, de nouveau soustraite au culte et redevenue Panthéon, dont l’apothéose a constitué à mutiler la croix, l’on déclenche une vaste campagne de presse contre le clergé.
Le 26 avril, Le cri du peuple publie un invraisemblable article, fruit d’une prétendue « enquête », que l’on feint de prendre au sérieux. À en croire cette feuille, l’on aurait découvert dans les très vastes cryptes de l’église Saint-Laurent les corps horriblement torturés de jeunes femmes enchaînées, « mortes de faim » dans ces « souterrains » ; ces malheureuses auraient servi d’esclaves sexuelles au clergé et, à entendre les journalistes, elles ne seraient pas les seules. Des fouilles dans les églises parisiennes permettraient de mettre au jour des dizaines d’autres victimes d’une pratique qui durerait depuis longtemps : « Le prêtre a travaillé seul à son aise dans les ténèbres. Ici, le catholicisme est à l’œuvre… Contemplez-le ! »
L’heure est à la persécution ouverte
Les attaques se multiplient à l’encontre du célibat sacerdotal qui servirait de couverture à toutes les dépravations hypocrites. La technique n’est pas neuve, elle a déjà servi et servira encore chaque fois que l’on voudra saper l’Église. On ne sait si beaucoup croient à cette fable et à ces crimes dont on ne fournit évidemment aucune preuve, raison pour laquelle, d’ailleurs, à défaut des improbables cadavres de Saint-Laurent, on se met en quête de restes humains susceptibles d’étayer les accusations. Ce n’est pas très difficile. Jusque dans les années 1780, il était habituel d’enterrer notables et bienfaiteurs sous les dalles de leur église paroissiale et, même si, pour raisons d’hygiène, Louis XVI a fait interdire cette pratique, quelques dérogations sont encore parfois accordées s’agissant de personnalités.
La Commune se souvient à propos qu’une dérogation de ce genre a été accordée quelques années plus tôt, lors du décès du curé de Notre-Dame des Victoires, l’abbé Dufriche-Desgenettes, fondateur de l’archiconfrérie devenue internationalement célèbre. On va donc déterrer le vénérable prêtre, traîner sa dépouille, preuve des crimes du clergé, sur la place publique, et finalement la jeter à la voierie.
L’un des anciens vicaires du défunt, l’abbé Amodru, qui, le 17 janvier 1871, en chaire, prononça dans la basilique un vœu, « inspiré d’En-Haut » pour la fin de la guerre, resté mémorable car il correspondit étrangement à l’apparition de Notre-Dame à Pontmain, tente de s’interposer et d’empêcher cette profanation, et celle des reliques de sainte Aurélie. Il est arrêté et conduit devant un tribunal populaire. Quand on lui demande son identité, il répond : « Prêtre de Jésus-Christ. » L’un des « juges » improvisés rétorque : « Non ! Ça, c’est le délit ! » Ce « mot d’esprit » est un emprunt à Fouquier-Tinville, président du tribunal révolutionnaire pendant la Terreur. Tel quel, il donne le ton.
« Ils ont osé toucher à Notre-Dame »
L’heure est désormais à la persécution ouverte. Lorsqu’elle apprend la profanation de Notre-Dame des Victoires, Catherine Labouré, la voyante de la rue du Bac, dit, très émue : « Les malheureux … Ils ont osé toucher à Notre-Dame des Victoires ! Ils n’iront pas plus loin. » Comme souvent, la vieille religieuse a raison mais, avant que sa prophétie s’accomplisse, il coulera encore bien du sang.