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À Laval, l’irréductible (basilique) Notre-Dame d’Avesnières

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Anne Bernet - publié le 10/05/21
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À l'occasion du mois de mai dédié à la Vierge, Aleteia vous propose de découvrir, chaque semaine, un sanctuaire marial méconnu porteur d'une histoire spirituelle forte. Aujourd'hui, découvrez Notre Dame d’Avesnières. Patronne de la cité de Laval depuis l’an 1060, elle est invoquée en toutes circonstances. Elle protège de tout et résiste à tout : des pillards, des envahisseurs, des révolutionnaires. Même la Gestapo n’en est pas revenue… (2/5)

C’est, d’un point de vue révolutionnaire, une bien belle journée que ce 21 janvier 1794. Outre que l’on célèbre en grandes pompes le premier anniversaire de la mort « du tyran, le cochon Capet », autrement dit le roi Louis XVI, exécuté à Paris un an plus tôt, les autorités républicaines de Laval ont décidé d’épouvanter une population restée trop attachée à l’Ancien Régime et au catholicisme : l’on inaugure la guillotine en envoyant à l’échafaud quatorze prêtres de la ville et des environs, trop âgés ou malades pour la déportation promise au clergé réfractaire. À midi, Laval et l’Église sont plus riches de quatorze martyrs mais, comme leur mort édifiante s’est accompagnée de quelques phénomènes célestes curieux, le spectacle n’a pas eu toute la portée éducative que les instances républicaines en attendaient. Ç’a même été le contraire… Il fallut d’urgence faire oublier ce fiasco et clore les « festivités » par un vrai triomphe sur les « forces clérico-nobiliaires ». Et comment mieux y parvenir qu’en détruisant un « bastion de la superstition » ?

Depuis décembre 1793 et l’interdiction de tout culte religieux en France, la mise en œuvre de la politique de déchristianisation totale voulue par la Convention bat son plein. Et, puisqu’exceptées celles transformées en temples de la déesse Raison, les églises ne servent plus à rien, l’on s’empresse de les démolir. À Laval, quelques semaines ont suffi pour faire disparaître toute trace de la collégiale Saint-Tugal, paroisse seigneuriale, et de Notre-Dame de Bonne Encontre, l’église dominicaine, les deux plus beaux ensembles gothiques de l’Ouest dont il ne reste pierre sur pierre… L’heure est venue, en ce jour historique, d’en finir avec un autre « vestige de la superstition » : Notre-Dame d’Avesnières.

À en croire la Tradition, le sanctuaire date de l’an 1060. À cette époque, Guy II, comte de Laval, fait vœu de le bâtir en remerciement du secours miraculeux que lui a accordé la Sainte Vierge. C’était l’été, un gros orage avait gonflé les eaux de la Mayenne et la rivière en crue avait emporté le pont de Belaillé, qui traversait la ville, alors que le comte le passait à cheval. Guy et sa monture s’étaient retrouvés enlevés par les flots comme fétus de paille. Se voyant perdu, le comte appela Notre Dame à l’aide. Un instant plus tard, son cheval reprenait pied sur la rive et mettait son cavalier en sûreté au lieu-dit Avesnières, en raison des avoines que l’on y cultivait.

Telle est la légende fondatrice du sanctuaire. Conte pieux, forgé par les religieuses du Ronceray d’Angers, qui ont accueilli deux des filles de Guy II de Laval, lorsqu’elles fondent leur prieuré d’Avesnières, dans l’intention de lui donner un éclat supplémentaire ? Les savants le prétendent mais la générosité des comtes de Laval envers l’église romane, qu’ils ne cessent d’embellir et d’enrichir, accrédite une sérieuse dette de reconnaissance. Ils dotent entre autres le sanctuaire d’une statue de la Vierge dont la particularité est de posséder un corps de pierre et une tête de bois. Cette œuvre naïve est entourée d’une vive dévotion tant à Laval que dans les environs.

Patronne de la cité et de la Maison de Laval, Notre-Dame d’Avesnières est invoquée en toutes circonstances : pestes, épizooties, intempéries, famines, guerres, invasions ; le plus souvent, son intervention se révèle efficace et garde la ville des périls. Même les Anglais qui, en 1428, brûlent le prieuré, épargnent l’église. À la Renaissance, les riches marchands drapiers la couronnent d’un clocher de dentelle de pierre de toute beauté. Hélas, dans la matinée du 2 février 1701, une terrible tempête l’a fait s’écrouler, en pleine messe de la Chandeleur et cela a été miracle qu’il n’y ait pratiquement aucune victime. Quatre-vingt-dix ans plus tard, les Lavallois, en dépit de maintes promesses, ne l’ont toujours pas reconstruit… 

Ce 21 janvier 1794, c’est maintenant le reste de l’édifice qu’il s’agit de détruire. Jusque-là, conscientes de l’attachement des habitants à leur patronne, nul ne s’est risqué à profaner l’église, même si, ces dernières semaines, on a fusillé contre ses murs nombre de prisonniers vendéens, femmes et enfants compris, dont la mise à mort en centre-ville risquait de choquer. Dans les vapeurs du banquet qui suit l’exécution des prêtres, les révolutionnaires jugent l’expédition vers Avesnières, et les coups de pioche symboliques que l’on portera à l’église, une partie de plaisir. En cette fin de journée, l’affaire, en vérité, paraît moins tentante… La nuit tombe tôt, il fait froid, il faut parcourir presque deux kilomètres le long du chemin de halage, parmi les haies et dans le brouillard qui monte de la rivière où se mire l’église. Les routes ne sont pas sûres. Quelques combattants royalistes peuvent traîner dans le coin, ou, pis encore, des « houbilles », fantômes du bocage mayennais dont la rencontre est encore moins tentante et auxquels même des sans-culottes esprits forts croient dur comme fer sans l’avouer…

Enfin, un groupe de fiers-à-bras qui ne veulent pas sembler se dégonfler, se met en marche dans le crépuscule en braillant des chants patriotiques, histoire de se donner du courage. Plus ils s’éloignent de la ville, moins ils chantent et moins ils en mènent large. Il fait presque nuit quand ils arrivent à Avesnières. Ils approchent des lourds vantaux qui portent les scellés de l’État. Rien n’a bougé, nul ne s’est introduit à l’intérieur. Et pourtant… 

Qui, dans le groupe, prétendit le premier voir de la lumière filtrer dessous les portes et qui affirma entendre jouer de la musique ? On ne sait mais le plus brave de la bande, qui n’en mène pas large, met l’œil au trou de la serrure et regardant à l’intérieur de la nef, se redresse, livide : à l’en croire, l’église est illuminée a giorno et, même si l’on ne voit personne dans les travées, il ne fait aucun doute qu’une foule énorme s’y presse car on l’entend distinctement répondre aux prières de la messe… Tournant le dos aux fidèles invisibles, un prêtre officie en grandes pompes à l’autel et, lorsqu’il se retourne en disant : Dominus vobiscum !, chacun le voit bien en face et a tout loisir de le reconnaître. C’est messire Michel Turpin du Cormier, ci-devant curé de la Trinité à Laval, et grand opposant à la constitution civile du clergé, contre-révolutionnaire déclaré. La prise eût été bonne, à un petit détail près, qui glace le sang dans les veines des patriotes : l’abbé Turpin du Cormier a été le premier guillotiné ce midi-là sur la place au Blé…

Lâchant leurs pics et leurs pioches, hurlant de panique, les républicains s’enfuient sans demander leur reste et ne revinrent jamais. Notre-Dame d’Avesnières traversa intacte la Terreur et, avant même le Concordat, fut, en 1800, restituée au culte catholique, première église de Laval à rouvrir. En 1816, les dépouilles mortelles de l’abbé Turpin du Cormier et de ses compagnons de supplice y sont solennellement inhumées.

Y a-t-il eu miracle ou, ivres, effrayés, et, au fond, trop superstitieux pour encourir la colère de la Bonne Vierge d’Avesnières, les patriotes ont-ils inventé toute l’histoire ? Peu importe. Le sanctuaire est sauf. Les foules recommencent à s’y presser. En 1859, il est élevé au rang de basilique mineure et, l’année suivante, le premier évêque de Laval, Mgr Wicart, obtient à Notre-Dame d’Avesnières les honneurs du couronnement. Une seule chose manque encore : la fameuse flèche dont la reconstruction, toujours promise, est sans cesse remise à plus tard, en raison de son coût.

Vient la guerre de 1870, la défaite, l’invasion… Le 11 janvier 1871, Le Mans tombe au pouvoir des Prussiens, la route de Bretagne est ouverte à l’ennemi. Laval est sa prochaine étape. La ville, réputée riche, est mal défendue par des troupes épuisées, la rançon déjà fixée : trois millions or, ou ce sera le pillage, l’incendie, les viols et les massacres. Affolés, les Lavallois commencent à penser que le clocher d’Avesnières, dussent-ils se ruiner pour le rebâtir, ne coûterait jamais ce prix-là. Dans la matinée du 16 janvier, plusieurs dames de la bonne société se présentent à l’évêché et demandent à Mgr Wicart de bien vouloir entériner le vœu solennel de la population : si la guerre épargne Laval, si les Prussiens n’y entrent point, les Lavallois s’engagent à rebâtir dans les meilleurs délais la flèche d’Avesnières. Mgr Wicart leur montre la porte : il n’entérine pas les vœux ridicules. Ces dames s’en vont bouleversées. Au demeurant, les premières estafettes prussiennes sont aux portes de la ville qui sera le lendemain irrémédiablement la proie de l’ennemi.

Ce ne fut pas le cas. Pour des raisons qui demeurent officiellement obscures, l’état-major allemand renonce à prendre Laval. L’armistice est signé à la fin du mois, la ville épargnée. Que s’est-il passé ? Derrière les explications stratégiques embarrassées, se cache sans doute une vérité assez dérangeante pour avoir, pendant l’Occupation, poussé la Gestapo à enquêter. Selon certains soldats et officiers prussiens, et des échos en sont revenus au général Chanzy qui commandait les troupes françaises, le Reich a abandonné Laval parce que, au soir du 17 janvier, alors qu’il s’apprêtait à investir la ville, l’envahisseur a été témoin d’un spectacle incroyable : une Dame, belle, grande et majestueuse, se tenait dans le ciel au-dessus de la cité et paraissait en interdire l’accès. Cette vision aurait assez impressionné l’ennemi pour l’inciter à n’aller pas plus avant.

Curieux détail : à la même heure, à cinquante kilomètres de là, Notre-Dame apparaissait à Pontmain, porteuse de cette promesse : « MAIS PRIEZ MES ENFANTS. DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS. MON FILS SE LAISSE TOUCHER. » Informé discrètement de l’événement dès le lendemain, Mgr Wicart entérine le vœu des Lavallois le 20 janvier. Il ne faudra que quatre ans pour rebâtir la flèche d’Avesnières.

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