En ce troisième dimanche de l’Avent, appelé dimanche de Gaudete (« réjouissez-vous ! », en latin), la liturgie invite le prêtre à revêtir une chasuble de couleur rose. L’Église sait donc elle aussi déjouer les stéréotypes de genre… De fait, il faut avoir une confiance inébranlable en sa propre virilité pour assumer un tel accoutrement. Mais c’est que la liturgie est aussi la manière dont l’Église extériorise et rend visible le mystère qu’elle célèbre. Or, le troisième dimanche de l’Avent nous invite à nous réjouir, à exulter de joie dans l’imminence de la venue du Sauveur (Jn 1, 6-8.19-28).
La joie, non l’excitation
La joie, au plan naturel comme au plan surnaturel, s’éprouve lorsqu’on atteint le bien qu’on désirait et qu’on se repose en sa possession. Se réjouir avant même la fin de l’Avent, c’est donc anticiper quelque peu, mais c’est normal puisque nous possédons déjà ce que nous attendons, c’est-à-dire le Christ lui-même. Dès lors, notre joie doit se voir, et pour cela elle doit s’exprimer de toutes les manières possibles. On sait le mot trop fameux de Nietzsche selon lequel il se convertirait si les chrétiens avaient l’air un peu plus sauvés… Alors, soyons dans la joie ! Sur ce plan-là, les chrétiens évangéliques ont des leçons à nous donner.
En 1973, l’Union européenne avait choisi comme hymne officiel la fameuse hymne à la joie de Beethoven. Le choix était étrange à double titre. D’abord, il m’a toujours semblé que ce morceau, quoique sublime, évoquait davantage l’excitation que la joie. Et puis, avec le recul historique, il y a quelque paradoxe à avoir choisi l’hymne à la joie au moment où l’Europe plongeait dans une dépression économique et morale qui continue aujourd’hui. À tout prendre, il aurait peut-être mieux fallu opter pour un Te Deum, de Charpentier par exemple, car alors on aurait eu un véritable motif de joie, le seul : Dieu lui-même. Ignorer l’héritage chrétien, c’est aussi se couper de la source de la joie. La multiplication des décorations criardes et des publicités agressives dans la période qui précède Noël ne fait à cet égard que renforcer l’impression d’excitation artificielle, bien loin de la vraie joie.
La joie se reçoit d’abord
Jean-Baptiste, qui nous accompagne durant ce temps de l’Avent, peut-il nous enseigner la joie ? Apparemment, ses appels vigoureux à la pénitence et à la conversion semblent mal s’y prêter. Mais c’est oublier qu’avant même sa naissance, Jean-Baptiste a tressailli de joie dans le sein de sa mère Élisabeth à l’instant où Marie s’approchait en portant en elle l’enfant Jésus. La scène est instructive pour nous : au sens littéral, la joie de Jean-Baptiste était tout intérieure, même physiquement ; mais Élisabeth a dû sentir les coups de pied à l’intérieur d’elle, et Jean-Baptiste lui a communiqué sa joie. Il semble bien que les joies les plus intérieures peuvent se manifester à l’extérieur, et être communiquées.
À l’inverse de l’excitation qui se nourrit du tumulte et de la foule, la joie s’éprouve mieux dans un certain retrait.
Avant d’être communiquée, la joie doit être reçue et éprouvée. Et pour cela, Jean-Baptiste nous exhorte à nous retirer au désert. C’est qu’à l’inverse de l’excitation qui se nourrit du tumulte et de la foule, la joie s’éprouve mieux dans un certain retrait. Non pas nécessairement la solitude, le désert de Jean-Baptiste ne tarde d’ailleurs pas à être très peuplé, mais un retrait qui permet que la présence des autres devienne une communion et non plus une confusion. Il nous faut donc commencer par nous rendre au désert.
Dans le désert
Un avantage tout relatif de notre époque déchristianisée, c’est que les catholiques y sont déjà et en permanence relégués dans un désert. Sans avoir à le rechercher, sans l’avoir voulu, nous vivons notre foi dans un désert dont nos églises de campagne sont parfois la meilleure illustration, les paroisses urbaines faisant illusion. Reste à savoir si, du fond de notre désert, nous crions aussi fort que Jean-Baptiste. Il semble que non, puisque contrairement à ce qui se passait pour lui, il n’y a pas grand-monde qui nous y rejoint. Il faut donc crier plus fort ! Et peut-être même parfois taper du pied comme l’enfant Jean-Baptiste dans le sein de sa mère.
Si nous voulons pouvoir crier plus fort, il convient de remplir au moins deux conditions : avoir quelque chose à dire, et avoir du souffle. Ce que nous avons à dire et à crier, c’est notre joie parce que le Fils de Dieu s’est fait homme et nous donne sa vie. Et le souffle nécessaire pour crier, c’est l’Esprit-Saint qui doit nous l’insuffler. Nous remplissons donc les deux conditions, qu’attendons-nous pour crier ? Crier dans le désert, c’est la vocation chrétienne depuis toujours !
Évangéliser, c’est se convertir
Que deviennent alors l’effort de conversion et la pénitence propres à ce temps de l’Avent ? En réalité, tout chrétien qui a participé à de l’évangélisation directe, dans la rue ou sur les plages, le sait : crier la Bonne Nouvelle à des inconnus qui vous prennent au mieux pour de gentils illuminés, au pire pour de dangereux sectaires, c’est le meilleur chemin pour la conversion personnelle et ça prend parfois l’allure d’une pénitence ! Un cri dans le désert, la conversion, la pénitence… L’évangélisation possède tous les ingrédients d’un Avent à l’école de Jean-Baptiste ! L’imminence de Noël est une occasion rêvée pour cela, tant les cœurs les plus endurcis s’attendrissent en cette période qui sent bon l’enfance et le rêve.
Nous sommes au désert ? Tant mieux ! Avec Jean-Baptiste, nous ne sommes pas en mauvaise compagnie. Et puis c’est un désert où la Parole de Dieu peut nous désaltérer. Nous sommes au désert et c’est tant mieux, à nous d’y attirer tous les hommes pour leur communiquer notre joie.
Quelle est la joie qu’il nous faut crier dans le désert ? Avec Jean-Baptiste, il suffit de proclamer avec force : « Au milieu de vous vient quelqu’un que vous ne connaissez pas. » De fait, Jésus est un inconnu pour nos contemporains, mais il est bien présent au milieu d’eux. Si l’orgueil nous prend, reprenons encore les mots de Jean-Baptiste : « Je ne suis pas le Messie, ni Élie », il ne manquera pas de scribes ou de pharisiens modernes pour nous interroger sur notre légitimité à prêcher la vérité. Et si nous venons à douter de notre mission, reprenons les versets du Benedictus, qui s’appliquent à Jean-Baptiste mais aussi à tous les baptisés : « Et toi petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses chemins. »
Avec Jean-Baptiste
Nous sommes au désert ? Tant mieux ! Avec Jean-Baptiste, nous ne sommes pas en mauvaise compagnie. Et puis c’est un désert où la Parole de Dieu peut nous désaltérer. Nous sommes au désert et c’est tant mieux, à nous d’y attirer tous les hommes pour leur communiquer notre joie. Le Fils, en s’incarnant, a voulu être le visage du Père pour nous. Soyons à notre tour le visage du Christ pour nos frères. Ainsi nous serons des sacrements de la présence de Jésus dans le monde. Il faut parfois montrer le visage du Christ tel qu’il apparaît sur le Saint-Suaire, marqué par la souffrance de la Croix. Mais à l’approche de Noël, soyons le visage souriant de l’enfant Jésus venu communiquer aux hommes une joie qui demeure. Que ma joie demeure ! Bach plutôt que Beethoven…