L’immense basilique blanche qui domine Paris est dédiée à Jésus de Nazareth, Fils de Dieu, tel qu’il est vénéré dans son Sacré Cœur. L’histoire du sanctuaire, né dans un temps d’épreuve pour toute l’Église et pas seulement pour la France, est l’histoire d’une relation d’amour, d’amitié et de confiance entre Dieu et les peuples.
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À l’origine de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, l’extraordinaire « vœu national », un mouvement spirituel au service de la consécration nationale de la France au Sacré-Cœur. Après la défaite de Sedan le 1er septembre 1870 et dans les mois qui suivent, des pans entiers de l’ancien monde s’écroulent : perte de la guerre face aux Prussiens, fin des États pontificaux, invasion étrangère… Devant ces troubles majeurs, l’intuition fondamentale de deux laïcs parisiens influents, Alexandre-Félix Legentil et Hubert Rohault de Fleury, à l’unisson de bien d’autres catholiques de l’époque, est qu’il ne faut pas simplement organiser des élections, continuer le combat, faire de la diplomatie — il faut aussi une réaction spirituelle et morale.
Dans les défaites, demander pardon
Les deux laïcs qui mènent le projet qui conduira à la construction et à la consécration de la Basilique, en 1919, entrent dans cette logique qui traverse les siècles et qui, toute proportion gardée, a traversé la Bible : dans les victoires militaires il faut rendre grâce à Dieu — c’est le Te Deum, et dans les défaites demander pardon — avec le Miserere. Dans les deux cas, ce qui est visé est le salut éternel, la conversion spirituelle, le sursaut moral. Il ne s’agit pas d’une quelconque action de grâce ou d’une pénitence nationalistes.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, les dérives qu’il s’agit d’expier sont d’abord celles du Second Empire, et non de la Commune de Paris.
Au-delà de leur vision théologique de l’histoire, ces hommes ont une vision politique et sociale de leur temps — et ils veulent une réforme, intellectuelle et morale, qu’ils soient légitimistes ou orléanistes. Ils ont dès l’origine conscience de la nécessité de transcender les options politiques. Leur désir est d’associer largement à leur action sociale une action religieuse de prière, de pénitence et de témoignage de la foi. Ils veulent faire une œuvre pastorale, au service des pauvres ! Dans le comité de construction du vœu national, ils ont pris sur eux pour dépasser leurs options politiques, et la question latente de l’époque : « Comte de Chambord ou comte de Paris ? » L’archevêque de Paris, Mgr Guilbert, leur emboîte le pas, afin de faire de la construction de ce sanctuaire une « œuvre chrétienne et patriotique ». La forte personnalité d’Alexandre Legentil dans le paysage catholique parisien et ses nombreuses relations font que le projet acquiert vite une dimension nationale.
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Un temple expiatoire
La basilique est donc construite comme un temple expiatoire. Mais attention ! Contrairement à ce que l’on croit souvent, les dérives qu’il s’agit d’expier sont d’abord celles du Second Empire, et non de la Commune de Paris. Dans l’esprit des fondateurs, l’insurrection de mars-mai 1871 ne fait qu’ajouter une couche supplémentaire aux malheurs du temps. Un fait marquant symbolise cette volonté : Alexandre Legentil s’est demandé, au tout début de son initiative s’il ne devait pas transformer le chantier de l’Opéra lui-même en temple expiatoire. Le père d’Hubert de Fleury, Charles Rohault de Fleury, grand architecte de la Monarchie de Juillet et du Second Empire, va jusqu’à montrer dans un croquis comment l’Opéra pourrait être transformé. Le bâtiment pouvait porter en effet comme un stigmate tout ce qui s’opposait à la morale chrétienne dans la société de l’Empire : non-respect du mariage, non-respect des pauvres, non-respect du dimanche, etc. Cette société bourgeoise, qui aurait tout sacrifié à la vie économique, aurait induit par ses péchés publics les épreuves qui ont suivi. Finalement, c’est à Montmartre que le projet aboutira.
Le Vœu national du 2 décembre 1870
Le Vœu national explicitant la volonté de fonder la basilique est rédigé le 2 décembre 1870, donc avant l’insurrection de la Commune. C’est l’énormité des initiatives sécularistes et anticléricales de l’insurrection et l’exécution des otages par les communards (dont l’archevêque de Paris, Mgr Georges Darboy) qui a fait tomber dans l’oubli cette vérité historique. Ce qui résume le mieux ces motivations est dans ce texte important, toujours gravé sur un mur de la basilique :
« En présence des malheurs qui désolent la France, et des malheurs plus grands peut-être qui la menacent encore ; en présence des attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l’Église et du Saint-Siège, et contre la personne sacrée du Vicaire de Jésus-Christ ; nous nous humilions devant Dieu et, réunissant dans notre amour l’Église et notre Patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés. Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes, ainsi que les secours extraordinaires qui peuvent seuls délivrer le souverain pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France, nous promettons de contribuer à l’érection à Paris d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus. »
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Après l’élan initial, les étapes se sont succéderont, à commencer par le choix du site. L’Opéra écarté, les hauteurs de Belleville où des exécutions d’otages ont eu lieu sont envisagées. Mais en automne 1872, l’archevêque a un coup de cœur providentiel pour la butte Montmartre. On évoque alors le martyre de saint Denis — Montmartre, après tout, serait le Mont des Martyrs. Le 24 juillet 1873, après des débats houleux, l’Assemblée nationale vote par 382 voix sur 734 une loi qui déclare d’utilité publique la basilique, permettant que le terrain soit affecté à la construction d’une église. D’emblée, le site de la basilique devient un lieu de pèlerinage où l’on prie pour la France et pour Pape — et cela dès avant la fin de l’édification, puisqu’une chapelle provisoire est rapidement bâtie pour accueillir les pèlerins. La consécration a lieu en 1919.
Ce qu’il y a de plus beau
Pour la basilique, les fondateurs et les constructeurs veulent le meilleur de leur temps. Hubert Rohault de Fleury est le fils d’un grand architecte. Lui-même est un peintre respecté. Secrétaire général du vœu national, il développe au fil des ans ce qui a toujours été une évidence pour lui — il faut que ce qu’il y a de plus beau en architecture, en sculpture, en orfèvrerie puisse être au service de la manifestation de confiance de la France en son sauveur et Seigneur. Il rêve de faire de ce sanctuaire un musée de l’art français de son temps — et pas obligatoirement d’un art explicitement chrétien. Beaucoup des artistes auxquels les constructeurs font appel ont décoré aussi bien les mairies et les ministères que les églises, et les prêtres joueront le jeu aussi pour les objets du culte. Citons le sculpteur Hippolyte Lefèbvre. Le peintre Luc-Olivier Merson a dessiné le carton à partir duquel on a fait la mosaïque de l’abside de la basilique. La Maison Chaumet est sollicitée pour ses pièces d’orfèvrerie. L’ensemble est mis au service de la louange de Dieu. Le bâtiment a une vie — une destinée hors du commun.
Un modèle universel
Lors d’une audience à des curés français en 1914, le pape Pie X déclare : « Ne perdez jamais confiance dans la providence. Mais priez le divin cœur de Jésus qui garde la France du haut du sanctuaire de Montmartre. ». Il est vrai que la basilique a confirmé un mouvement de dévotion dont on retrouve des traces un peu partout. En France, d’abord. Le curé de Roquefort-les-Pins dans les Alpes-Maritimes suggère à ses paroissiens de construire une chapelle dédiée au cœur de Jésus, ce qui donnera le Petit Montmartre de Provence. L’église du Sacré-Cœur à Bordeaux est consacrée en 1875, que le cardinal Donet appelle Fille de la basilique. Citons, dans les colonies, le Sacré-Cœur de Balata près de Fort-de-France à la Martinique, modèle réduit du Sacré-Cœur de Montmartre, construit juste après la guerre de 14-18. Ce sont à la fois la dévotion particulière et l’architecture qui ont une influence internationale aussi avec par exemple le sanctuaire national au Sacré Cœur de Jésus à Berchen-les-Anvers, à l’initiative du cardinal Dechamps archevêque de Malines, consacré en 1878 ; ou avec l’église du Sacré-Rome à Rome inaugurée vers 1890. Ceci confirme le caractère transnational, et qui va bien au-delà du politique, du Sacré-Cœur ! Léon XIII a conféré aux archiconfréries de Montmartre un caractère international en 1894, rappelant qu’il s’agissait de célébrer, dans chaque nation, l’amour du Christ pour toutes les nations.
Pour pouvoir pleinement honorer le Sacré-Cœur de Jésus, l’adoration perpétuelle de l’Eucharistie apparaît vite nécessaire.
L’adoration perpétuelle
Pour pouvoir pleinement honorer le Sacré-Cœur de Jésus, l’adoration perpétuelle de l’Eucharistie apparaît vite nécessaire. L’attention au cœur de Jésus a une histoire bien avant la Basilique. C’est avec Pie IX qu’elle devient universelle, lorsqu’il en fait une nouvelle fête, en 1864, dans le cadre d’une nouvelle évangélisation nécessaire. Et c’est ensuite Léon XIII qui consacre le monde entier au cœur de Jésus. D’où vient cette attention ? Les apparitions du Sacré-Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie, à Paray-le-Monial au XVIIe siècle, ont aussi évidemment une grande influence mais depuis un millénaire, en héraldique comme ailleurs, le cœur de chair est devenu le symbole d’un cœur intérieur. Lors des inhumations par exemple, le culte des cœurs est objectivé. Tout ceci finit par être appliqué à Jésus, à Marie et aux saints. Pierre de Bérulle dit même que tout ce qui est vécu dans le cœur de Jésus est vécu dans l’éternité par amour. Le cœur du Christ devient le symbole de l’amour du Christ pour l’humanité, qui rejoint la dimension d’intériorité extrêmement importante du christianisme moderne. Alexandre Legentil est sensible à cette nouvelle spiritualité, promue par la Compagnie de Jésus, d’une attention aux richesses intérieures de Jésus symbolisées en son cœur, et d’une attention au cœur du fidèle, qui peut se mettre à l’unisson du cœur de Jésus (et du cœur de Marie). Tout naturellement, on en est venu à rechercher la plénitude de Jésus, qui se fait en son corps et en son cœur. Là où l’on célébrait le cœur, il fallait célébrer et vénérer le corps. Adèle Garnier, la fondatrice des bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre en 1898, le demande dès le début des années 1870 et ce sera fait dès 1876 dans la chapelle provisoire.
De l’architecture aux prières
L’agencement de l’espace favorise l’adoration de l’Eucharistie. Naturellement, l’équipement du ciborium sur le retable, auquel est adossé l’autel, a existé ailleurs qu’au Sacré-Cœur de Montmartre — partout où on a voulu l’adoration perpétuelle. Mais ici, on le met au cœur du chœur et de façon permanente. Où que l’on soit dans la basilique, l’Eucharistie est au centre de l’attention. En fait, le programme architectural est dès l’origine déterminé de telle façon que l’on puisse y faire pèlerinage. Pour cette raison, on peut faire le tour de la nef et du chœur, tant dans la crypte que dans l’Église elle-même. Cette déambulation supposait que l’on puisse toujours voir l’autel et, aujourd’hui, l’Eucharistie.
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L’Eucharistie présentée en permanence à la vue de chacun rappelle cet élément fondamental de notre foi : Dieu est incarné, physiquement présent. Pas besoin d’intermédiaire pour le voir, pas besoin d’intermédiaire pour l’adorer. Cette adoration se fait de jour, comme de nuit. La prière et l’adoration de nuit rappelle l’idée de pénitence, d’effort, elle bouscule nos habitudes de sommeil. Elle rappelle la devise du Vœu national — « Ce temple est dédié au cœur de Jésus par la France pénitente, confiante et reconnaissante » — et la nécessité de pénitence dans toute prière. La rencontre de Jésus est une rencontre qui ne peut pas ne pas être une conversion, ce qui suppose détachement du péché et de nos attaches. Ce sont d’ailleurs les valeurs du carême : prière, pénitence et partage.
Un formidable élan malgré des années difficiles
La basilique, depuis ses origines, semble être faite pour la tourmente. La période 1960-1970 est celles pendant laquelle on a le plus parlé d’une crise de l’Église. Et c’est pourtant durant cette époque, où Mgr Maxime Charles est recteur, de 1959 à 1985, qu’il fait de Montmartre un centre de rayonnement non seulement parisien mais national. Pendant toutes ces années, il a promu, développé, défendu et fait connaître les cinq valeurs de Montmartre :
La prière d’adoration eucharistique,
L’adoration du cœur de Jésus,
La pratique de la mortification et de la pénitence,
L’enseignement de la foi,
L’apostolat avec des laïcs formés à transmettre et témoigner de ce dont ils avaient reçu des uns et des autres. Un témoignage assez extraordinaire de la fécondité de cette période est venu du pape Jean-Paul II lui-même, en juin 80, lorsqu’après la rencontre du Parc des Princes avec les jeunes, il vient à la basilique, où probablement cinq ou six mille personnes l’attendent !
D’innombrables initiatives
La liturgie des messes comme celle des dimanches et des fêtes est particulièrement soignée, et les pièces grégoriennes et polyphoniques se mêlent aux possibilités du moment, pièces en français, adaptations de paroles contemporaines sur une musique traditionnelle. Parmi d’autres exemples, citons le vendredi saint, qui depuis 1960 connaît un afflux de fidèles pour un chemin de croix depuis le square Louise-Michel au gisant du Christ dans la basilique. Procession unique en son genre à l’origine, l’idée a ensuite été largement reproduite ailleurs dans Paris ! Toute une équipe de chapelains et de religieuses aide le recteur. Pour la maîtrise des chants, pour l’organisation des offices, pour les pèlerinages à Chartres, à Rome, en Terre Sainte. En 1965, mille personnes partent en pèlerinage en août. En 1975, le pèlerinage à Rome attire 2500 personnes ! Une revue de doctrine chrétienne, Résurrection, est publiée. Des conférences sont organisées au Sacré-Cœur, mais aussi à la salle Pleyel ou la Mutualité. Avec un succès toujours grandissant.
La basilique accueille les foules, mais la butte de Montmartre, c’est plus que la basilique, même du point de vue de la foi. Ce qui lui donne cette place si spéciale dans Paris, c’est aussi son environnement, tout un ensemble de foi.
Un « ensemble de foi »
Aujourd’hui, la tourmente s’est calmée. La basilique accueille les foules, mais la butte de Montmartre, c’est plus que la basilique, même du point de vue de la foi. Ce qui lui donne cette place si spéciale dans Paris, c’est aussi son environnement, tout un ensemble de foi. Juste à côté du Sacré-Cœur, il y a aussi un carmel, dédié au cœur de Jésus. Il se situe au pied du clocher du Sacré-Cœur et les carmélites accueillent les visiteurs dans leur chapelle et leur parloir. L’église Saint-Pierre, ensuite — église paroissiale (car le Sacré-Cœur n’est pas une paroisse), dernier reste d’une grande abbaye. Au plateau des Abbesses ensuite, l’église paroissiale Saint-Jean de Montmartre est caractéristique de la fin du XIXe siècle, construite par Anatole de Baudot, qui fait du gothique au bêton armé. 11 rue Yvonne le Tac, il y a enfin le martyrium. On y évoque le martyr de Denis. Saint Ignace de Loyola et ses compagnons sont venus là par trois fois, en 1564, 1565 et 1566, pour prier et chercher l’exemple des martyrs fondateurs et évangélisateurs de Paris et fonder la compagnie de Jésus.
Les bénédictines du Sacré-Cœur
Depuis 1995, la basilique est confiée par l’archevêque de Paris à des prêtres, le recteur et le chapelain, et à des religieuses gestionnaires. Ces religieuses sont les bénédictines du Sacré-Cœur, congrégation fondée pour Montmartre et à Montmartre par Adèle Garnier à la fin du XIXe siècle. À la séparation de l’Église et de l’État, les consacrées sont parties s’installer en Angleterre, où elles ont fondé, à Londres, un Montmartre à l’emplacement du gibet où de nombreux martyrs catholiques étaient morts aux XVIe et XVIIe siècles — une branche est restée dans cette ville. Beaucoup sont revenues, et elles ont reçu pour mission d’animer des centres spirituels en France, dont la basilique ! À Montmartre elles accueillent dans deux maisons : une adjacent à la basilique, Éphrem, et l’autre, cité du Sacré-Cœur, le prieuré de Saint-Benoît. Les prêtres de Paris et ces bénédictines sont aujourd’hui chargés de ce lieu exceptionnel à propos duquel Léon XIII proclamait, lors d’une audience au père Lemius et à un groupe de pèlerins du Vœu national : « Montmartre et Lourdes, le Sacré-Cœur et la sainte Vierge, sauveront la France ».
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